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lesquels ne rougissaient point ou bien d’écrire dans leur dialecte natal, ou d’introduire dans la langue commune toutes les formes dialectales susceptibles d’y entrer ? On était alors Pindare le Thébain, — ou on signait ses livres : Pierre de Ronsard, Vendômois, — ou Jean Mairet, Besanconnois. Je sais, pour ma part, une foule de nos locutions lorraines fort bonnes à repiquer dans le grand jardin français, et qui certes n’y feraient point double emploi. Que Barrès le Charmesan, Curel le Loherrain, ou le Messin, s’y mettent, et vous verrez une jolie floraison !…

M. Daniel Baud-Bovy, dominé par la grandeur de son sujet, ne se borne pas à ces menues trouvailles ou « retrouvailles » d’expression, ni à conter agréablement des escales toujours pleines d’imprévu. Il veut nous donner, avec la figure, l’impression même des lieux. Il vise à compléter l’illustration pittoresque de son ami Boissonnas. Ses descriptions ont la couleur chaude et sobre qu’il faut pour rendre les paysages de l’Hellade et de son archipel, où les tons peuvent être, quelquefois, très violents, mais où la ligne reste nette et où les couleurs ne se confondent ni ne s’empâtent jamais. Et, outre cela, ces descriptions sont aérées, vivifiées par les brises matinales et l’odeur forte des algues, palpitantes de l’émoi des choses inconnues. Ce style, forcément lyrique, n’a pas qu’une note. Il se détend très souvent. Avec une souplesse aisée, il passe des tableaux les plus grandioses à la notation des détails ou des spectacles les plus simples, par exemple dans ce « quadro « où se retrouve comme un accent modernisé des Thalysies de Théocrite. C’est un déjeuner improvisé, sur la tartane qui transporte les voyageurs d’une Cyclade à l’autre, déjeuner servi par l’agoyate et cuisiné par des matelots qui portent le bonnet conique des Dioscures : « La table, couverte d’une nappe blanche, est mise au pied du grand mât. Une omelette aux herbes odorantes, des rougets frits, du jambon, des poires fondantes, du vin doux de Tinos, quel festin ! La senteur marine, le frémissement d’Amphitrite le long de la coque, les îles d’or sur lesquelles s’avance Apollon, le Cynthe qui grandit… tout nous emplit d’une joie dionysiaque… »

Voilà la note juste et un peu périlleuse. Poussée légèrement, elle ferait une dissonance.