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guerre, si vous voulez : je crois pourtant saisir plus d’une nuance nouvelle. Vous avez bien du mal à comprendre, vous autres Français, qui projetez volontiers votre personnalité sur l’univers, que la psychologie italienne à l’égard de l’Allemagne n’a rien de comparable à la vôtre. Tandis que l’Autriche était pour l’Italie un pays allié et ennemi, l’Allemagne était un pays ami et allié. Elle n’est plus une nation alliée : elle reste une nation amie. La trame qu’elle avait patiemment ourdie pendant un demi-siècle était trop solide pour que trois années de guerre aient suffi à la rompre. Aussi, dès l’armistice, les Allemands sont-ils revenus. Ils se sont réinstallés comme si de rien n’était, accueillis sans rancune. J’en ai vu trois sur le Corso, hier encore ; reconnaissables entre mille, grands, lourds, la face balafrée, la tête rasée ; et quand on se serait mépris à ces signes, sachez qu’ils portaient leur chapeau vert suspendu à leur veste, au moyen d’un de ces petits appareils extraordinairement pratiques, où vous reconnaîtrez le génie de l’Allemagne. Ils ne se sentaient même pas ridicules, avec ce chapeau vert qui ballottait sur leur poitrine : ils se retrouvaient chez eux ; ils reprenaient possession d’un sol familier. A Rome, ils sont partout, à peu près comme devant. Ils ont repris leur propagande, et on se demanderait comment ils peuvent en faire les frais, au cours du mark, si on ne savait qu’ils la considèrent comme une opération commerciale : à raison de tant, elle doit rapporter tant, dans tant d’années ; le placement est sûr. Prospectus, catalogues, échantillons, visites à domicile, ils ne négligent rien pour reconquérir le marché, et ils y réussissent. Remarquez ce simple trait, qui vous en dira long. En France, inondés que vous étiez par des articles à bas prix défiant toute concurrence, vous avez fait de « marchandise allemande » le synonyme de « camelote, » — c’est bien le mot que vous employez, n’est-ce pas ? En Italie, c’est tout le contraire ; la marchandise allemande comporte une idée de supériorité en soi. Si vous hésitez à faire une emplette, le vendeur vous dit gravement : « C’est de la marchandise allemande ; » ce qui veut dire : « Vous ne trouverez rien de mieux. » L’objet est le même, j’imagine, en Italie et en France ; le vendeur cherche à vendre : c’est la psychologie de l’acheteur qui est radicalement opposée.

« Les Allemands sont revenus, sûrs de retrouver les sympathies anciennes, soutenus aussi par un parti bruyant, qui