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Standard Oil a, depuis un an, engagé des négociations avec la Turkish Petroleum pour les gisements de Mésopotamie ; le 29, M. Child se rendit chez Ismet pacha et lui expliqua que sa démarche ne signifiait nullement qu’il prenait à son compte toutes les revendications turques. La question de Mossoul, à la suite de l’incident américain, fut ajournée.

Le débat sur la question des Détroits a été extrêmement intéressant. Il a renouvelé les vieilles rivalités historiques et mis en présence, une fois de plus, l’Angleterre et la Russie sur ce terrain classique de leur lutte séculaire. Malgré l’opinion des Turcs et des Italiens, la Conférence fut d’avis que le Gouvernement des Soviets, ayant signé avec les Turcs le traité de Kars et n’étant pas reconnu par les Puissances occidentales, ne pouvait être admis à toutes les délibérations ; mais il fut entendu que la Russie étant au premier chef intéressée dans le problème des Détroits, ses représentants auraient le droit de le discuter « sous tous ses aspects. » M. Tchitcherine est donc venu à Lausanne renforcer MM. Vorovski et Rakovski ; il a eu de longs entretiens avec Ismet pacha ; et on l’a entendu reprendre une vieille thèse du Gouvernement impérial et l’exposer avec beaucoup de force. Pour les Russes, enfermés dans la Mer-Noire, le problême des Détroits est vital ; il s’agit de la clef de leur propre maison. La Mer-Noire avait été, jusqu’à Catherine II, une mer intérieure turque ; depuis 1774 (traité de Kioutchouk-Kaïnardji) la politique et les armées russes n’avaient pu d’autre objectif que d’en faire une mer intérieure russe. Danilevski, dans son livre célèbre Sur le panslavisme, écrivait : « Le droit, pour les vaisseaux de guerre de la Russie de passer librement de la Mer-Noire à la Méditerranée, n’est que le droit de sortir de sa cour intérieure au monde extérieur ; le droit, pour les navires de guerre des autres Puissances, d’entrer librement dans la Mer-Noire n’est que le droit d’envahir notre cour et notre maison, uniquement pour les piller. » Le Commissaire du peuple aux Affaires étrangères a tenu à Lausanne précisément le même langage que le théoricien panslaviste. « Nous considérons comme un axiome que toute combinaison internationale dans les Détroits, déclarait-il au correspondant du Temps M. H. Rollin, que ce soit leur administration par la Société des Nations ou par une commission internationale munie de pouvoirs militaires, signifierait purement et simplement la domination de la Puissance navale la plus forte dans les Détroits et sur la Mer-Noire. »

La question ainsi posée, la Turquie passait au second plan ; elle n’apparaissait plus que comme le portier chargé de fermer ou