Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

net, est celui du philosophe ; au surplus, ne s’agit-il pas d’une conscience inquiète ? Celui de l’éleveur est le mieux venu, peint en pleine pâte et haut en couleur. Mais ce qui leur donne, à l’un et à l’autre, une physionomie particulière, ce qui en fait bien des personnages de M. de Curel, c’est qu’ils sont vus sous l’angle de l’ironie par un observateur sarcastique. « Va, philosophe, pense et rêve, raisonne et ratiocine. Grimpe dans ta cervelle ; te voilà bien embarrassé pour en redescendre. Enivre toi de tes idées : voilà que le monde t’apparaît dans un brouillard d’ivresse... » — « Toi, gentilhomme campagnard, qui te confines dans la nature, tu crois t’y conformer : tu oublies que l’humanité commence où cesse l’animalité... » — « Toi, jeune savante, petite sœur de l’Armande de Molière, tu te leurres de phrases creuses. Vienne à passer un beau garçon... » M. François de Curel ne veut certainement pas dire que l’instinct soit notre souverain maître. Mais sa philosophie désenchantée se complaît au spectacle des mille et un tours que l’instinct joue aux fragiles humains.

M. Alexandre est un baron de Piolet accompli : c’est un de ses meilleurs rôles. M. Bernard, dans celui de l’oncle, est plein de souriante bonhomie. M. Hervé nous a présenté un Parmelin bien triste. Mme Piérat est charmante de jeunesse et de grâce mutine sous les traits d’Hortense. Et Mlle de Chauveron a dessiné une plaisante silhouette de campagnarde bonne fille.


Il me reste peu de place pour parler des Grands garçons de M. Paul Géraldy, assez tout de même pour dire que cet acte est charmant de fine sensibilité et d’observation aiguë. On parle volontiers de l’hostilité qui oppose la génération des enfants à celle des parents. C’est fort exagéré, et c’est un poncif. Le mérite de M. Paul Géraldy est d’avoir très exactement démêlé, et exprimé avec nuances, un sentiment d’espèce particulière, cette espèce de gêne qu’un fils peut éprouver vis à vis d’un père qu’il aime tendrement, qu’il admire et de qui il a hérité, comme il convient, le fond de ses idées. Tout cela indiqué plutôt que dit, suggéré plutôt qu’expliqué, et de la nuance la plus juste. Ce petit acte, dont va s’emparer le répertoire, est interprété à ravir par M. de Féraudy, émouvant dans le rôle du père, et MM. Roger Monteaux et Fresnay qui jouent avec jeunesse et naturel des rôles de jeunes gens.


RENÉ DOUMIC.