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qu’avant elle le Dictionnaire de l’Académie réservait au mot « sensible. » Hardie et naïve, Hortense est allée voir Parmelin, et lui a fait l’offre de sa main. Le philosophe s’est montré touché, mais non pas tenté ; il ne se soucie pas d’épouser une fille pauvre. Non qu’il soit avide, à la manière de Trissotin ; mais il ne veut pas être distrait de sa méditation par les tracas du ménage. « Qu’à cela ne tienne, répond l’oncle-providence. Tu es mon héritière, tu es riche : il se trouve d’ailleurs, par un de ces hasards qui ne sont pas rares au théâtre, que Parmelin est mon ami et qu’il sera ici avant un quart d’heure. Tu épouseras Parmelin. »

Voici Parmelin. A l’entendre causer avec son ami Sautereau, nous nous rendons tout de suite compte que, pour être métaphysicien, on n’en est pas moins sot. Il faut l’entendre conter, sans rire, certaine aventure de maison Tellier, qui fut de sa vie de philosophe la minute la plus philosophique. La présence inattendue de sa jeune élève lui cause d’abord quelque surprise ; mais un philosophe ne doit s’étonner de rien. Et tous deux parlent idées pures et mariage riche, en un jargon qui ferait de Parmelin un autre Bellac ; mais il s’en faut qu’il ait le charme pédantesque et la cuistrerie avantageuse de son illustre prédécesseur. Survient un voisin de campagne, le baron de Piolet. Celui-là n’est pas un métaphysicien, c’est un éleveur, et on s’en aperçoit tout de suite. Un éleveur, paraît-il, n’entre ni ne sort, ne pense ni ne parle comme ferait un homme qui ne serait pas éleveur. Éleveur des pieds à la tête, et dans les moelles, il offre ce trait caractéristique que chez lui tout sentiment se transpose aussitôt et s’exprime en langage d’éleveur. Le madrigal qu’il sert à une jeune fille est le compliment qu’il ferait sur une pouliche. C’est l’homme de la nature, comme Parmelin est l’homme de la pensée. Contraste et antipathie éclatent entre eux dès la première rencontre. L’éleveur est d’ailleurs un jeune et beau gars. Et il est aisé de voir qu’il n’a pas été sans faire impression sur la petite intellectuelle. Cependant Hortense se fiance à Parmelin.

Le second acte, sans répéter le premier, servira surtout à en développer et en renforcer l’impression. Le dessin des caractères se précise et s’accentue. Le professeur qui reculait à épouser une jeune fille pauvre, hésite maintenant à épouser la jeune fille devenue riche. C’est décidément un homme que la vie du cerveau rend impropre à la vie réelle. Tout à l’heure ne va-t-il pas demander à lire le livre de sa disciple, afin de savoir si par hasard leurs concepts philosophiques ne seraient pas en opposition, ce qui compromettrait gravement