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proclamer avec ardeur et contre toutes les allégations contraires qu’elle a occupé, — elle en est sûre, — la toute première place dans le cœur du célèbre écrivain. Pour en convaincre Marmont, Fortunée copie ce passage d’un billet que lui adressait Chateaubriand peu de jours avant d’être emporté : « Surtout, n’en voulez jamais à celui qui va mourir en vous aimant et en se souvenant que vous avez été la plus charmante providence de sa vie. »

Jadis, en 1829, arrivait dans la Ville Éternelle une pimpante écervelée, Hortense Allart. Elle y débarquait ayant en tête la ferme intention de faire la conquête de notre ambassadeur, M. de Chateaubriand. Ce gros indiscret de Sainte-Beuve a publié un manuscrit que lui avait confié Hortense et où elle raconte : « A Rome, je fus curieuse de voir M. de Chateaubriand, mais je n’osais. Enfin, je m’appuyai du nom de Mme Hamelin. Je lui écrivis. Il répondit tout de suite et j’allai chez lui le lendemain. » Voilà comment le nom de Fortunée présida aux amours du vicomte et d’Hortense. C’est piquant. Mme Hamelin, généreuse, n’en tint pas rigueur à sa « pauvre noble folle d’amie. » Bien au contraire, leur intimité persista. L’une et l’autre n’avaient-elles pas pour les rapprocher une haine commune ? Toutes deux haïssaient Juliette Récamier. « Pardonnez-lui, écrivait encore Chateaubriand dans le billet déjà cité. Elle avait peur de vous. »

Lui pardonner, Mme Hamelin n’en a cure. Juliette n’a-t-elle pas empêché son adorateur de consacrer quelques lignes à Fortunée dans les Mémoires d’Outre-Tombe ? C’est là un dommage qui ne se peut oublier.

« Hortense, écrit enfin Mme Hamelin à Marmont, possède des lettres très belles de M. de Chateaubriand, cent à peu près. Ces lettres jettent par terre la comédie réciproque de lui et de Mme Récamier. » Avec quelle insistance Fortunée souligne-t-elle ces mots « comédie réciproque. » Ah Dieu certes ! avec elle, ce ne fut pas une comédie. Et voilà que l’ancienne Merveilleuse s’éteint lentement, en gardant au cœur la grande consolation d’avoir été « la plus charmante providence de M. de Chateaubriand. »


GUY DE MONTBEL.