Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclaté dans la Romagne contre le gouvernement de Grégoire XVI, les Autrichiens intervinrent en faveur du Pape. Casimir Périer, pour protester contre cette intervention, envoya des troupes qui débarquèrent à Ancône et occupèrent la ville sans coup férir. « Metternich, tu dors donc ? » s’écrie Mme Hamelin. Elle est tout étonnée que le célèbre homme d’État supporte que les soldats d’un souverain révolutionnaire viennent ainsi fouler le sol d’Ancône qui est la clef de toute l’Italie ; mais voilà que soudain cette grave question la jette dans d’attendrissants souvenirs. Elle se prend à évoquer un lointain passé et, en le rappelant, elle se donne la très douce émotion que l’on éprouve « en ressaisissant un peu de sa vie par ses commencements. »

« J’avais seize ans, écrit-elle, lorsqu’un soir, assise à broder près de Madame Bonaparte, j’entendis le Petit Général dire ceci au colonel Junot qui revenait d’Ancône : « Comment ! tu as pu faire envoyer là-bas 3 000 hommes ? C’est plus qu’il n’en faut. Je ne puis leur faire comprendre qu’Ancône, c’est l’Italie. Ah ! si la mer était libre ! Avec la mer libre et Ancône, une campagne de six semaines suffit pour prendre toute l’Italie, en y étouffant toutes leurs armées. » Et Junot en riant aux éclats : « Oui, six semaines ! Voilà pourquoi nous nous battons depuis dix-huit mois. — La mer était-elle libre ? Tu vois bien qu’au lieu de tant de combats, de marches, de montagnes, Ancône seule nous épargnait tout cela, car elle prend à revers les Apennins et les Alpes. La France derrière tout cela, la mer libre et Ancône ! Oui, certainement, en six semaines. » C’est sur l’honneur, ajoute Mme Hamelin, que je vous certifie ces paroles. Ce bon vieux souvenir s’est retracé si frais qu’il me semblait entendre encore la voix basse et timbrée de Napoléon et les éclats inconsidérés de Junot. Je me disais : la mer est libre, la France est derrière, les Apennins et les Alpes à revers, de plus l’Italie révolutionnaire. »

Bref elle entrevoit que le Gouvernement français, aidé par les hommes turbulents de là-bas, pourrait bien bouleverser à son profit l’Italie entière. Comment le laisse-t-on faire et comment ne trouve-t-on pas là un bon motif d’agir contre Louis-Philippe et de le chasser des Tuileries comme il en a chassé Charles X ?

Conservant ses habitudes policières et le goût de fureter un peu partout, Mme Hamelin est tout heureuse, quand elle peut découvrir quelque dessous de la politique. En voici un. L’Empereur