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Une infusion de simples et de plantes vénéneuses. » Sans nul doute, quelque quarante ans plus tôt, elle aurait apprécié tout de même le mélange légitimo-républicain que voulait préparer Fortunée Hamelin. Celle-ci, bien au contraire, ne craignait nullement de contaminer les ultras de droite au contact d’éléments de gauche ; c’est qu’elle pensait comme penseront toujours ceux qui veulent réaliser l’alliance de leur groupe avec un autre groupe. Sous cape, elle estimait que la meilleure manière pour le parti légitimiste de s’unir au parti républicain serait tout uniment de l’absorber. Mais pour ce faire, il faudrait du tact, il faudrait des charmeurs et où trouver de meilleurs séducteurs que parmi les gens de lettres ou les grands avocats ?

« Dans notre armée, écrit-elle, je camperais au centre notre riche et glorieuse littérature, oui, glorieuse, monsieur, car vous ne comptez pas un seul de nos grands talents qui n’appartienne de cœur, d’âme, de génie, à l’un des partis généreux de la France. Vous comprenez que ces deux nobles opinions sont la royaliste et la républicaine. Quant au juste milieu, il possède la littérature de l’Empire qui consiste en trois vieux radoteurs tels que Jouy, Arnault et Etienne. Pas une recrue de talent ne lui a encore été possible, car vous ne croirez jamais aux calomnies contre Lamartine.

« Avec nos beaux génies au centre, nous serons bientôt en relation intime avec tous les astres républicains. Carrel, en première ligne, serait caressé, enivré d’éloges. Alexandre Dumas, Didier, Cavaignac sont déjà nos amis. Berryer arriverait le soir, leur parlerait de ce ton de modération, de grandeur qui me le fait prendre quelquefois pour un homme de l’intimité de Louis XIV. »

Mais bien vite, au galop de la plume, un tantinet de malice à l’adresse d’un grand ami.

« M. de Chateaubriand, continue Fortunée Hamelin, apprendrait un peu l’art de se communiquer, de parler des autres et de flatter les amours-propres. Tout lui sera facile. Bientôt l’union, la confiance existeraient entre notre armée et les brigades républicaines. Qu’elle serait bientôt immense, cette armée commencée avec un noyau d’élite, et que je serais heureuse d’en commander une division ! Oui, le courage renaît à l’aspect des choses difficiles, mais possibles.

« Le parti républicain si nombreux en province, si instruit