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Si pour l’aimable policière les intrigues politiques allaient ainsi bon train, peut-on dire que les intrigues amoureuses vaquaient entièrement ? Non. Le démon des heures précédentes ne l’avait pas mal tourmentée : celui de midi ne devait pas la laisser en repos. Il est vrai que ce midi commençait à se faire tardif. Le beau temps du Directoire, des bosquets d’Italie, des fêtes chez Barras, des danses avec M. de Trénis était déjà lointain. Cela n’empêche que Fortunée ne désarmait pas encore : comme tant d’autres, elle fut complaisante pour M. de Chateaubriand. C’est à l’époque où il s’abandonnait aux joies du pouvoir si ardemment convoité, qu’il témoigna une prédilection passagère à l’ancienne Merveilleuse. Celle-ci aura désormais et pour toujours deux cultes : celui de Napoléon et celui de l’auteur d’Atala.

La révolution de 1830 vint bousculer choses et gens. Mon grand père, le comte Guillaume, Isidore de Montbel, qui, sans grand enthousiasme, avait fait partie du ministère Polignac, était parti sur les routes de l’exil. Il séjournait à Vienne ; quelle ne fut pas sa surprise quand, un jour, il trouva dans son courrier une lettre de Mme Hamelin !

Dès lors, et pendant plusieurs années, elle éprouvera le besoin de lui écrire l’indignation passionnée qu’éveillait en elle la monarchie de Juillet. Dans les notes qu’il a laissées, mon grand père fait maintes fois allusion à cette correspondance et ainsi j’ai pu constater que beaucoup de ces lettres, — surtout parmi les premières en date, — ont été malheureusement égarées. Quoi qu’il en soit, ce qui subsiste est délicieusement alerte. Mme Hamelin y aborde un peu tous les sujets et avec un esprit inlassable. C’est un charmant bric-à-brac de politique intérieure, de politique extérieure, de mondanités, de littérature. C’est un reflet de sa vie agitée, de son âme ardente, de son amusante ironie ; c’est aussi le reflet d’un temps troublé entre tous où les horions des émeutes étaient pour les défenseurs du pouvoir une gratification quasi quotidienne. On y trouve les mots cinglants, des aperçus ingénieux, des idées turbulentes.

Le comte de Montbel recevait presque tout son courrier de Paris par l’intermédiaire de son ancien secrétaire, M. Esquirol. Ainsi lui parvinrent les pages de Mme Hamelin.

Son rôle passé devait conférer encore à cette dernière un peu de ce mystère qui enveloppe les choses et les gens de la police.