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LA DAME DE LA RUE BLANCHE
FORTUNÉE HAMELIN
D’APRÈS SES LETTRES AU COMTE DE MONTREL

On était en plein Directoire, en pleine frénésie joyeuse, en pleine « fureur dansante. » Il y avait ce soir-là bal à l’hôtel Thélusson. Mme de D... , une rescapée d’ancien régime, poussée par une curiosité intrépide, s’était décidée à se fourvoyer avec sa fille Ernestine, dans ce monde nouveau. Pour une femme encore toute guindée par des soucis de bon ton aristocratique, se lancer ainsi dans le brouhaha des Merveilleuses et des Incroyables était une aventure imprudente.

Dès son entrée au bal Thélusson, Mme de D... eut la chance de trouver un homme de bonne compagnie, un de ses pairs, le marquis d’Hautefort qui, avec une philosophie indulgente et amusée, se plaisait à s’adapter à l’élégante société d’alors. Il s’était offert pour être l’introducteur de Mme de D... ; aussi prit-elle son bras pour faire le tour des salons. La duchesse d’Abrantès nous raconte bien joliment cette petite promenade.

Désireuse de pouvoir mettre un nom sur telle ou telle élégante qui attirait son attention, Mme de D... questionnait son cavalier. Il eut tour à tour à lui désigner la générale Bonaparte, sa fille Hortense et, proh pudor ! Mme Tallien. C’en était trop. Quel milieu pour une personne de qualité ! Toute frémissante, la noble dame exhale sa mauvaise humeur ; elle apostrophe M. d’Hautefort : « Comment m’avez-vous amenée ici, mon cher ami ? » Mais elle n’était pas au bout de ses indignations ; d’autres motifs de scandale la guettaient.