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Ainsi, chaque matin, je les vois arriver par la porte de Mazarelos... Aujourd’hui que les brumes traînantes ont mangé jusqu’aux tours de la cathédrale, aujourd’hui que la pluie tombe, que l’automne s’échevèle à la croix de tons les clochers, c’est du bois qu’ils ont apporté, les paysans de la montagne, du bois mort, de grosses branches avec toutes leurs ramures et de jeunes arbres moussus. Toujours silencieux, toujours calmes de gestes, ils ont jeté cela tranquillement sur la place à droite, à gauche, derrière eux. Et puis, les charrettes vides, ils ont touché leurs bêtes au front, crié un ordre, et s’en sont allés dans le grincement déchirant et long des lourds essieux carres. Alors, les partidores [1] sont arrivés.

Jusqu’au soir ne cessera plus le bruit sourd de leurs hachettes, mêlé aux craquements du bois, au ruissellement de la pluie, au chant des petites cloches grêles, — fatiguées, elles aussi, usées comme la voix des nonnes mercedarias, — sonnant sans relâche l’heure et les fractions de l’heure sur le toit de tous les couvents. Jusqu’au soir, cette pluie, ces brouillards qui descendent jusqu’à la rue, et brusquement s’enlèvent dans un coup de vent, n’interrompront pas la besogne résignée des partidores. L’eau qui réveille, autour des branches abattues, de vivantes mousses vertes, verdit aussi le vieux velours noir de leurs vestes, le feutre lamentable de leurs chapeaux. Ces hommes ne semblent pas plus les maîtres de leurs gestes que ne le furent ces arbres de leur croissance et de leur mort. Ils acceptent, se meuvent avec inconscience. Et tandis que je les regarde, voici qu’une troupe singulière, — fantômes ou damnés, — passe en courant près d’eux sur les dalles miroitantes de la petite place.

Le train de Vigo, l’unique train desservant Saint-Jacques, vient d’arriver avec son quotidien chargement de poisson. Les femmes, qui sont allées le chercher, le transportent maintenant à la Plaza de Abastos. Sur leur tête, — toujours, — s’équilibrent les corbeilles au poids formidable. Il est si lourd, ce poids-là si terriblement lourd, que les malheureuses oscillent e ! tremblent, comme prêtes à s’abattre. On ne voit pas leur visage enfoui sous le sac dont elles protègent leur tête et leurs épaules. Un autre sac en lambeaux leur sert de jupon. Ainsi,

  1. Coureurs de bois.