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étalés sur les dalles, elles admirent aux vitrines des cordonniers les fins petits souliers aux talons très hauts. Les bijoux aussi les attirent, surtout ces longues boucles d’oreilles, travaillées en filigrane d’or ou d’argent doré, et qui sont ici l’ornement de toutes, fut-ce les plus pauvres. Et puis, elles s’en vont acheter des étoffes, des châles, des nourritures aussi qu’on trouve seulement à la ville, sur la Plaza de Abastos. Les marchandes y sont accroupies près de leurs tréteaux en plein vent, ou de leurs paniers. Cela sent le poisson, le cuir et la percale fraîche, la pomme mûre et le piment chauffé. Quand elles ont traversé la Plaza de Abastos, les aldeanas sur leur tête, dans les larges corbeilles, portent un chargement plus lourd, mais dont elles continuent de n’être pas gênées. Les hommes vont près d’elles, balançant le bâton qui leur servira tout à l’heure à toucher leurs bœufs, silencieux, courbant un peu le buste, écartant les jambes, tels qu’ils ont pris l’habitude de se tenir dans les sentiers penchants de la montagne. Et comme la nuit va venir, ils s’en retournent tous vers les aldeas blanches, par les ruedas et les routes, le long des charrettes lourdes, ou bien au pas des chevaux qui portent au lieu de selle les couvertures éclatantes...


— Ils doivent, dans ces villages, vivre comme au XVIIIe siècle ?

— Vous voulez dire au XVIe. Et encore !... Savez-vous par exemple que la charrue dont ils se servent est la charrue romaine, sans la moindre modification ?

La charrue est romaine ; la charrette sans doute le doit être également. En regardant tourner tout d’une pièce, sur les places de la ville, les pesants véhicules aux roues pleines et cerclées de fer, à l’immobile timon, je me demande vainement en quoi pouvait être plus primitif, ce que les disciples attelèrent, pour y transporter le corps de leur maître, aux taureaux adoucis de « Madame » Lupa. Une sorte de raquette allongée, dont le manche fixe, passant entre les deux bœufs de l’attelage, vient s’attacher à leur joug, telle est la charrette galicienne. Des trous, de place en place, traversent le bois. On y enfonce de grosses branches, pas même équarries, qui maintiennent le chargement. Si celui-ci est de fougères sèches, de légumes ou de pommes de pin, une claie d’osier brun, tendue sur ces branches, transforme tout l’appareil en une espèce d’énorme corbeille.