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La vaste chapelle pour cette très particulière cérémonie était tendue entièrement de damas rouge. À gauche de l’autel, sous un dais de roses blanches qu’enveloppait la pourpre d’un dais plus élevé, la Vierge de las Mercedes, en l’honneur de qui se déployait tant de pompe, grande, brune, laissait admirer son lisse et souriant visage de très jolie femme, et sa belle robe en satin, rebrodée d’or. Six prêtres officiaient dans leurs chasubles superbes, tout en satin blanc, eux aussi, tout en or. Là-haut, derrière le croisillon serré des jalousies qui les faisaient invisibles, les nonnes chantaient.

De bien étonnantes voix, un chant bien singulier !… Usées les unes, usées comme n’en pouvant plus, comme toutes prêtes à se rompre sur une note trop haute, trop longue à tenir, épuisant soudain leurs dernières forces ; et monotone l’autre à la façon d’une mélopée où l’allégresse demeurait plaintive, où l’alleluia même traînait comme un gémissement. — De quel siècle venait-il, ce chant très ancien, et vers quoi s’en allaient ces voix au bout de leur âge, au bout de leurs souffles, ces faibles voix épuisées ?…

— Autrefois, me dit-on, qu’elles chantaient bien, les Madres !… Maintenant, c’est fini… Elles sont vieillottes, les pauvres !

— N’en vient-il plus de jeunes pour les remplacer ?

— Hé non ! cela se perd.

Cela se perd, — Esto se pierde ; — cette phrase-là on me l’a dite déjà à propos des pèlerinages, des belles cérémonies, à propos de tout…

Le peuple seul ne veut pas que cela se perde. Le peuple seul continue de fréquenter les églises où l’odeur de l’encens, si violente cependant, ne parvient pas toujours à combattre l’odeur de misère.


C’est un humble et doux peuple, ce peuple de Galice qui marche les pieds nus. Sur lui, le temps qui va, changeant l’histoire et les âmes, ne semble pas avoir passé. Avec leurs faces sérieuses et rudes, et résignées, leurs corps solides, leurs yeux suivant un rêve, ces hommes et ces femmes sont tels que les représentent les peintures très anciennes, les vieux bois naïfs, tels que durent être sur cette même terre, au bord de cette