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Devant moi, au delà des toits de tuiles décolorés, brunis par les pluies, monte dans le ciel gris une orfèvrerie de pierres grises enrichies de mousses en or : les tours de la cathédrale.


C’est vers elle qu’il faut aller tout de suite, au hasard des petites rues tortueuses bordées d’arcades sombres, pavées de larges dalles en granit : toutes y conduisent. Et si l’on veut s’éloigner, elle continue de s’imposer, d’obséder, d’attirer, la grande cathédrale. Des places et des faubourgs, des bois, des villages, on ne voit qu’elle, d’abord. La ville est ronde autour d’elle et la campagne s’arrondit. On dirait qu’elle groupe et ramasse, qu’elle ordonne. Et l’on dirait aussi qu’elle ne monte si haut, qu’elle ne s’élance à ce point, trempant dans le pâle soleil ou les brumes errantes ses coupoles, ses balustres ornés de fleurs et de coquilles, que pour regarder encore, par-dessus le Mont Pierreux, le Pico Sacro, le Mont de la Joie, tous les monts qui l’entourent, si personne ne vient plus par « le chemin de France. »

Tant de siècles se sont occupés d’elle, elle est quelque chose de si complexe et de si formidable, qu’avant de la bien connaître, on croit entrer, par chacune de ses quatre portes, dans quatre édifices différents : porte de l’Obradoiro, au centre de la monumentale façade néo-plateresque ; porte de la Quintana près de la Porte Sainte, au bas des longs escaliers où s’achève la Via Sacra, en face de l’immense et sombre couvent de San Pelayo ; porte de l’Azabacheria (porte du Jais.) C’est là que s’installent encore, sous les arcades rondes, les marchandes de chapelets, de coquilles en argent, de scapulaires. Porte des Platerias enfin, au bout de la rua del Villar.

Porte des Platerias que par bonheur respectèrent tous ces remaniements infligés par le XVIIe siècle, et le XVIIIe, aux autres façades, — très vieille, presque intacte, la plus belle de toutes. Sur la petite place que domine et qu’enchante sa triple arcade romane, les Argentiers, comme autrefois, ont leurs boutiques étroites aux vitrines desquelles rayonnent de longs plats ciselés. Autour de la fontaine, des servantes aux pieds nus attendent que se remplissent, au filet d’eau qui coule, les grands vases en bois cerclés de fer. Elles rient ou se disputent, ou chantent un « alâlâ. » Un chanoine passe, la rouge croix de Santiago, la croix aiguë brodée sur sa soutane noire. Dans un grincement