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Il la dut à l’Italie, et cette maîtresse de la Renaissance put le modeler plus directement qu’aucun de nos poètes. Le cardinal Jean du Bellay, son cousin, l’emmena avec lui à Rome, où Henri II le chargeait d’une mission particulière. Ayant longtemps vécu à la cour pontificale, initié à toutes les formes de la culture italienne, bon versificateur latin à ses heures, le cardinal, qui avait longtemps gardé à sa table maître François Rabelais, ne pouvait être indifférent à la présence auprès de lui d’un lettré et d’un poète tel que Joachim. Comprit-il la qualité de son génie ? On le croirait malaisément. Il employa surtout le dévouement d’un parent fidèle à diriger une maison fastueuse et compliquée, où le gentilhomme de compagnie se doublait d’un intendant de confiance. Par les occupations fastidieuses de sa charge, dont il a su se plaindre élégamment, Joachim ne crut point d’abord acheter trop cher le plaisir de vivre à Rome et d’en explorer à loisir tous les trésors. Mais son séjour devait durer plus de quatre années, loin des amitiés les plus chères et sans contact avec la province natale. Son « journal » poétique en sonnets, qui devint le recueil des Regrets, enregistre avec amertume les déceptions de sa carrière et une observation toute satirique des mœurs, alors qu’il a commencé de l’écrire dans l’enthousiasme d’un humaniste mis en joie par l’étude enchantée de l’antiquité. Telle est la double inspiration des deux recueils publiés à son retour et suffisants pour sa gloire : les Antiquités de Rome et les Regrets.

Le concert de notre poésie s’y enrichit de quelques notes entièrement nouvelles. Les Antiquités, où l’on veut voir le témoignage des premières surprises du voyageur, traduit l’admiration d’un Français nourri de littérature romaine, devant les imposants vestiges de la dominatrice du monde. De ces vastes espaces remplis de ruines sortait cette émouvante méditation sur la chute des empires et la force destructive du temps, où la littérature de l’Italie, depuis le latin de Pétrarque, avait pris un de ses thèmes favoris. L’Ecossais Buchanan, lié à Paris avec Joachim, s’était essayé lui-même à le traiter. Quant à la vision de la petite Rome primitive, démesurément grandie avant sa chute, elle était déjà dans Properce, dans Ovide, dans Rutilius. Ces restes de l’Urbs auguste, dont rien ne pouvait donner l’idée à un Français du Nord, étonnaient nos compatriotes, dès qu’ils mettaient le pied sur le sol du Latium.