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de l’activité des anaérobies. Le travail de cette succession d’ouvriers microscopiques minéralisant les substances organiques et assurant la circulation indéfinie de la matière est exposée d’une manière saisissante dans la note sur la putréfaction. Pasteur y démontre que, sans les infiniment petits, la vie serait impossible à la surface de la terre, ils font la fertilité du sol et sa voix prophétique annonce qu’ils sont aussi les ferments de la matière vivante, qu’ils sont les agents des affections putrides, fléaux de l’humanité.

L’existence d’êtres vivant sans oxygène libre suggère à Pasteur une théorie physiologique de la fermentation. Les êtres ferments prennent l’oxygène à la matière fermentescible, d’où la désintégration de celle-ci. La levure alcoolique vivant au large contact de l’air brûle le sucre comme une moisissure, tandis qu’à l’abri de l’air elle le transforme en alcool et en acide carbonique. De même, des mycodermes et des moisissures, qui à l’air comburent le sucre, le font fermenter quand ils vivent sans air.

Cet extraordinaire labeur, Pasteur l’a accompli sans laboratoire outillé ; en effet il avait quitté la Faculté des sciences de Lille à la fin de 1857, pour venir à Paris en qualité d’administrateur à l’Ecole normale supérieure. A ce changement Pasteur perdait son laboratoire, mais il acquérait l’avantage de n’avoir plus de cours à préparer ni à faire et de gagner du temps pour le travail personnel. D’ailleurs, son ingéniosité et le besoin d’expérimenter lui firent promptement trouver le laboratoire qui lui manquait. Il l’installa, à ses frais, dans le grenier de l’Ecole. Sans préparateur, sans garçon de laboratoire, dans une incommodité qui aurait rebuté tout autre, il y poursuivit l’étude de la fermentation alcoolique et les expériences sur les générations dites spontanées. Mme Pasteur faisait, quand elle en avait le temps, office de garçon et lavait les ustensiles du laboratoire. Plus tard, le laboratoire fut transféré dans un pavillon faisant pendant à celui du concierge et servant jusqu’alors de bureau à l’architecte. Pasteur avait obtenu la création de places d’agrégés préparateurs réservées aux élèves sortant de l’Ecole et qui témoignaient d’aptitudes à la recherche scientifique. Les premiers admis au laboratoire de Pasteur furent Van Tieghem, Raulin, Gernez, Duclaux, Gayon, qui ont bien mérité que leurs noms fassent cortège à celui du Maître.