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UNE AMITIÉ DE BALZAC.

des replis obscurs que l’on veut dérober à cette inquisition. Puis, l’idée de votre supériorité se jette au travers de l’intimité ; une femme ne peut bien aimer que l’homme qui lui est supérieur ; mais si pourtant elle se sent par trop petite, elle souffre ; il faut une certaine égalité en amour.

Désespérez-vous donc de trouver une femme qui s’associe à votre nom, par penchant et non par calcul ? Ne se trouvera-t-il donc pas une famille qui sera digne de vous ? Il y a tant de gens, médiocres et sans fortune, qui font de beaux mariages !

Vous ai-je dit que j’avais entrepris de lire consciencieusement, par petites doses, la Physiologie du mariage ? J’aurai encore une réparation à vous faire, et ce sera avec bonheur, je n’aime pas à vous savoir en faute.

Adieu, Honoré ; le commissaire, qui est entré quelques instants pendant que je vous écrivais, se rappelle à vous de cœur ; sa femme serait désolée de mourir sans vous voir. Vous m’aviez parlé du voyage à faire ; qu’est devenu ce projet ? Et qu’avez-vous pu faire du peu de notions que vous aviez reçues ? Un de nos amis communs est ici, Auguste Borget ; il va dans les Pyrénées, l’heureux mortel ! Et notre projet ? il est allé où vont tous les rêves d’un moment qui viennent vous charmer. Savez-vous qu’à votre place, j’aimerais bien mieux faire un long séjour au pays basque que votre voyage d’Italie ? Vous ne voulez pas faire de l’antique ; au pays basque, des mœurs nouvelles, étranges, des traditions inconnues et pleines de charmes peuvent être mises en œuvre ; un de mes frères y est demeuré un an, et le souvenir qu’il en a rapporté a survécu à tout ; tout intérêt personnel à part, Honoré. Si j’aime à vous voir, j’aime mieux encore à entendre vanter vos belles pages.

Zulma


Ce ne fut pas en Italie, ni en Suisse, mais en Touraine que Balzac pensa trouver le calme nécessaire à la convalescence et au travail. Il retourna donc à Saché chez M. de Margonne, en attendant de rejoindre la marquise de Castries, en Savoie, aux eaux d’Aix :

« Ah ! écrivait-il à Mme Carraud, le 2 juillet 1882[1], si l’on avait voulu aller aux Pyrénées, je vous eusse vue, mais il faut que j’aille

  1. Correspondance, I, 161.