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Moins helléniste que latiniste, Du Bellay est aussi beaucoup moins paganisé que Ronsard. Il accepte, à l’occasion, une franche inspiration religieuse, et en tire même un assez grand nombre de vers pour songer à les grouper sous le titre de la Lyre chrétienne. Une série de ce genre chez Ronsard serait bien courte. Joachim n’a cependant pas une personnalité assez forte pour se soustraire à celle de son ami, tant qu’il reste dans son proche voisinage. Il sent lui-même que ses strophes les mieux venues doivent paraître assez pâles à côté de pièces vigoureuses, qu’il est le plus empressé de tous à admirer. Il évite de se mesurer avec le « prince de la lyre » (Gallicæ lyræ princeps, comme il l’appelle en ses poésies latines). Comment a-t-on pu croire qu’il eût indiscrètement cherché, en donnant ses Odes un peu avant celles de Ronsard, à devancer la première publication de celui-ci ? Des circonstances matérielles expliqueraient sans doute cette précipitation apparente, à laquelle tout défend d’attacher de l’importance. L’originalité essentielle et la prééminence de Ronsard étaient parfaitement assurées devant le public, puisque Du Bellay n’empiétait en rien sur la partie de son œuvre à laquelle le grand inventeur tenait le plus, et lui laissait tout l’honneur de l’imitation pindarique :


Divin Ronsard, qui de l’arc à sept cordes
Tiras premier au but de la mémoire
Les traits ailés de la Française gloire,
Que sur ton luth hautement tu accordes...
Fameux harpeur et prince de nos odes...


L’auteur de la Défense a proclamé cette gloire fraternelle dans ses préfaces et dans ses poèmes ; il a honoré en toute occasion « l’inimitable main de ce Pindare français » et, pour éviter toute équivoque, montré à son lecteur « l’Ode, quant à son vrai et naturel style, représentée en notre langue par Pierre de Ronsard... Et te l’ai bien voulu ramentevoir, lecteur, afin que tu ne penses que je me veuille attribuer les inventions d’autrui. » Il le répétait encore dans l’ode Contre les envieux poètes, où il marquait nettement ses propres inventions :


La France n’avait qui pût
Que toi, remonter de cordes
De la Lyre le vieil fût,
Où. bravement tu accordes