Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les deux documents furent envoyés, le lendemain matin, à Sa Majesté qui les approuva entièrement.

Un courrier spécial emporta la dépêche : elle mettait M. Nélidoff au courant de la situation et, invoquant sa grande expérience, elle lui laissait le soin d’apprécier si le Gouvernement français pouvait être prudemment sondé sur son adhésion éventuelle au traité de Björko.

Dans sa réponse, arrivée le 11 septembre, M. Nélidoff excluait absolument la possibilité de faire un sondage auprès du Gouvernement français quant à son adhésion à un arrangement russo-allemand. Aussitôt reçue, cette réponse fut transmise à l’empereur Nicolas, qui la renvoya sans aucune annotation.

Le lendemain, le comte Lamsdorff écrivit à Sa Majesté une lettre dans laquelle, en usant de la plus grande franchise, il déclarait ne pouvoir comprendre comment on pouvait promettre simultanément la même chose à deux Gouvernements dont les intérêts étaient antagonistes ; il appelait enfin l’attention de l’Empereur sur le danger que présenterait un rapprochement trop étroit avec l’Allemagne qui n’avait en vue que de mettre la main sur nous, en nous brouillant avec la France.

Quand le comte Lamsdorff revit Sa Majesté quelques jours plus tard, Elle lui dit :

— Je n’ai pas compris comme vous le traité de Björko. En le signant, je n’ai pas cru, un seul instant, que mon accord avec l’empereur Guillaume pouvait être dirigé contre la France ; c’est juste le contraire ; j’avais toujours en vue d’y associer la France.

Le ministre n’hésita pas à répondre :

— Sire, ce traité est une violation flagrante de la promesse que l’empereur Alexandre III a faite à la France de la soutenir par les armes, précisément au cas d’une guerre avec l’Allemagne. Les Français, en apprenant l’existence de cet arrangement, seraient en plein droit de dire que nous les avons trahis. Personnellement, je n’ai aucun engouement pour les Français, mais je tiens à notre alliance avec eux comme à un contre-poids contre l’Allemagne. Dès que les Allemands seraient assurés de leur entente avec la Russie, ils ne seraient que trop heureux de l’annoncer à la France, en nous faisant passer pour des alliés infidèles. L’empereur Guillaume tient beaucoup plus à nous brouiller avec la France qu’à être soutenu par notre armée qui