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puissance qui se croit à l’abri de tout danger, lors même qu’elle méconnaît les droits des autres, et qui ne se sent obligée à aucun égard envers eux. Nous n’avons pas voulu cependant réaliser ce projet sans y avoir préalablement initié la France et sans lui avoir proposé de s’y associer.

« Cet accord à trois, dont l’immense valeur serait particulièrement relevée par les circonstances actuelles, créerait une situation politique qui évidemment ne serait pas défavorable à la France ; elle pourrait servir en même temps à la consolidation de la paix, que la Russie et son alliée tiennent à maintenir en Europe, dans leur propre intérêt autant que dans celui de l’humanité entière. L’obligation d’un secret absolu est évidente. »

Sa Majesté approuva complètement les considérations formulées dans les deux documents précités et rédigea, sur leur base, une lettre qui partit pour Berlin le 7 décembre. Cette missive se croisa en route avec une autre lettre que l’empereur Guillaume avait adressée, entre temps, au Tsar et qui arriva à Saint-Pétersbourg le 9 décembre.

C’était le jour de la fête militaire de Saint-Georges. Rentré de la cérémonie traditionnelle du Palais, l’Empereur appela auprès de lui le ministre. Sa Majesté paraissait agitée et elle s’empressa de lire à haute voix la lettre qu’elle venait de recevoir.

L’empereur Guillaume insistait sur la campagne que les Anglais menaient contre l’Allemagne à propos de l’approvisionnement de notre escadre de la Baltique en charbon. Il ajoutait que, tout en ne voulant pas trop presser la réponse à sa proposition de traité, il devait cependant exiger la garantie qu’il ne serait pas laissé sans secours, au cas où l’Angleterre et le Japon lui déclareraient la guerre pour avoir fourni du charbon à notre flotte. S’il n’obtenait pas l’assurance formelle que, le cas échéant, la Russie se battrait avec lui « épaule contre épaule, » il serait obligé, a son grand regret, de suspendre immédiatement l’approvisionnement de notre escadre en charbon.

On comprend qu’il y avait lieu d’être inquiet, en raison de cette insistance qui ne s’arrêtait devant rien, pas même devant des menaces, pour entraîner la Russie et pour la mettre aux prises non seulement avec l’Angleterre, mais aussi et surtout avec la France, son amie et alliée !

Après discussion, l’Empereur décida de télégraphier à Berlin