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nom à la gloire. Ni le Vendômois, ni l’Angevin, n’ont encore rien publié ; mais ils peuvent se confier l’un à l’autre quelques essais, puisque le public va lire en même temps leurs premiers vers dans le recueil de leur aîné, Jacques Peletier, du Mans. Ce Peletier, mathématicien, conteur et poète, un des plus complets esprits de ce temps, fort au courant des choses d’Italie, cultive sur la poésie des idées tout à fait nouvelles, au moins en France. Il a déjà endoctriné Ronsard, et c’est lui apparemment qui indiquera à Du Bellay les livres éloquents où les théoriciens de la péninsule soutiennent que chaque écrivain doit se servir de sa langue maternelle pour « l’illustrer » et l’enrichir. Il enseigne à ses disciples, qu’il veut nourris d’abord et solidement de l’antiquité latine, l’art de transporter les richesses de celle-ci dans leur français, afin de les recueillir comme un héritage légitime. Ainsi vont aux astres les Italiens ; pourquoi des Français n’iraient-ils point ?

Dans la salle d’auberge où Ronsard confie à Du Bellay son désir de renommée, celui-ci, non moins ardent sous des apparences plus calmes, écoute avec enchantement l’écho de son propre cœur. Il jure à son nouvel ami de se consacrer avec lui à doter la France d’une poésie digne d’elle. Mais le Vendômois l’honore aussitôt d’une révélation plus secrète. L’imitation des anciens Romains ne servirait qu’à demi leur grand dessein. Il est une autre littérature, la grecque, véritable source de celle de Rome et dont les trésors longtemps ignorés s’offrent au plus noble « pillage. » Ronsard et son jeune cousin, Jean-Antoine de Baïf, y furent exercés à Paris, dans la maison de celui-ci, par un précepteur incomparable, qui connaît tout, traduit tout, s’attaque aux auteurs les plus difficiles et qui a conduit ses élèves émerveillés de la vénérable épopée d’Homère aux odes chantées sur la lyre de Pindare le Thébain. Réunis à présent sous la discipline de ce Jean Dorat au collège de Coqueret, sur la montagne de l’Université, ils passent leur vie en découvertes joyeuses, dans un véritable sanctuaire du dieu Apollon. Les leçons du maitre sont tellement entraînantes, qu’on se lève la nuit afin d’étudier davantage et de prolonger l’enchantement. L’avenir de la poésie exige que Joachim vienne s’enrôler dans la « brigade » pour les beaux combats qu’on va livrer.

Il n’y a nulle hardiesse à se figurer ainsi les premiers entretiens des deux poètes. Ajoutons-y leur flamme, leur naïveté, et