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La curiosité était vive lorsqu’à l’audience du 17 novembre, l’avocat général se leva pour donner ses conclusions. M. l’avocat général, Eugène Dreyfus, est un des magistrats les plus hautement considérés du Parquet. Son autorité est grande. Le choix qu’il allait faire entre les deux thèses ne pouvait manquer d’avoir une importance capitale. Dès ses premières paroles, on fut fixé. A la Cour d’appel, comme au Tribunal de première instance, le ministère public se prononçait contre l’abus du droit de réponse. Et son argumentation était d’une force singulière. Écartant tous les arguments qui pouvaient prêter à discussion, et faisant à la thèse contraire les concessions les plus larges, M. l’avocat général Dreyfus s’est établi au cœur de la question, et dans une position qui semble bien être inattaquable, à savoir que le droit de réponse ne saurait échapper, lui seul, à « cette grande règle d’équité, que le droit cesse quand l’abus commence. » Il faudrait pour cela qu’il fût une sorte de super droit, plus absolu que le droit le plus absolu. Mais le droit de réponse peut-il prétendre à un traitement plus absolu que cet autre droit, sacré et absolu, qu’est le droit de propriété ?

Ce refus d’élever le droit de réponse au-dessus du droit et d’en faire un superdroit, résume et domine toute la controverse.

Puis M. l’avocat général Dreyfus passait à l’examen des faits de la cause. Et il concluait en ces termes qui, pour la vigueur, ne laissent vraiment rien à désirer : « Je dis que persister à exiger l’insertion d’une réponse dans ces circonstances, c’est attenter à la liberté de la presse, c’est attenter à la liberté du journaliste qui a le droit de rester maître chez lui et, à l’occasion d’une manifestation littéraire ou dramatique, d’exprimer dans son journal ou dans sa revue ses propres idées sans s’exposer à devoir insérer un plaidoyer en faveur de la thèse contraire. Le droit de réponse est absolu, mais comme un autre droit absolu peut l’être, c’est-à-dire que son caractère absolu est conditionné par une limite qui conditionne tous les droits, même les plus absolus, et cette limite, c’est le respect du droit et de la liberté d’autrui. » Ainsi les principes invoqués dans ces conclusions sont les principes fondamentaux eux-mêmes et la pure notion du droit.

La Cour est entrée résolument dans la voie tracée par l’avocat général. On nous saura gré de reproduire in extenso le texte de son mémorable arrêt.