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victimes. Il faut donc lui rappeler la réalité des faits : si la paix, telle que les Alliés l’avaient conçue en 1918, et telle que le trop tardif Traité de Sèvres l’édictait, n’a pas été réalisée, c’est d’abord et surtout parce que les États-Unis, qui, après la grande lutte, possédaient seuls les ressources nécessaires pour mener à bien des entreprises aussi difficiles que la création d’un État arménien et l’émancipation de toutes les populations non turques, ont délibérément refusé d’y consacrer un homme ou un dollar. Avant d’incriminer la France, Américains et Anglais feraient bien de se demander si leurs Gouvernements ne sont pas les premiers responsables de la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui.

Dissiper les légendes mensongères, expliquer les intentions droites et les besoins vitaux de la politique française, c’est l’objet du voyage que M. Clemenceau vient spontanément d’entreprendre aux États-Unis. L’impulsion généreuse et noble qui a conduit les Américains sur les champs de bataille de France, pour détruire l’hégémonie allemande et sauver le monde de la tyrannie de la force, entraînait des conséquences que la propagande étrangère et l’antagonisme des partis ont pu réussir à leur cacher, mais qui n’en existent pas moins. Le président du Conseil de la victoire, avec son éloquence familière et captivante, avec son grand désintéressement, avec l’autorité de son âge et de ses services, est qualifié pour révéler aux Américains toute l’étendue de leur propre gloire, et leur faire entendre quelle est, après la victoire, la situation de la France en Europe. C’est une opinion répandue en Angleterre et aux États-Unis que la France fut ingrate envers l’énergique vieillard qui fut l’un des bons ouvriers de la victoire, et peut-être, dans les acclamations dont les Américains saluent l’ancien président du Conseil, pourrait-on discerner une nuance de regret ou de blâme à l’égard de ses compatriotes. M. Clemenceau pourrait leur expliquer que si le congrès de 1919 ne l’a pas élu Président de la République, c’est précisément parce qu’ayant mis sa confiance dans une loyale collaboration avec ses amis anglo-saxons, et ayant consenti des sacrifices à leurs intérêts, il n’a pas obtenu d’eux le concours et les garanties dont la France avait besoin et qu’elle avait, par son rôle dans la Grande Guerre, amplement mérités. Il n’est pas un Français qui ne souhaite de tout cœur les plus grands succès au pèlerinage patriotique que M. Clemenceau a entrepris outre-mer.

Tandis que les États-Unis sont en quête d’une formule politique nouvelle, l’Angleterre, fidèle aux traditions qui lui ont donné la