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Le théâtre a ses déboires, ou ses trahisons. . La musique de M. Max d’Ollone (Les uns et les autres), sur les vers de Verlaine, n’a pas donné tout à fait, « aux chandelles, » ce que nous en espérions, et très fermement, depuis le jour où l’auteur nous l’avait fait entendre. Nous y primes alors un plaisir délicat et sans mélange. La musique de chambre, ou en chambre, a bien ses avantages. L’œuvre a légèrement souffert de la représentation, des interprètes aussi, de trois sur quatre, le quatrième étant M. Baugé. Non pas que nous n’ayons reconnu, souvent, l’élégance, la fluidité, la poésie, qui nous avait charmé naguère. Le double et galant dialogue, que deux couples, l’un rose et l’autre vert, se partagent, nous a paru çà et là très agréable encore. Mais nous l’avions trouvé délicieux. Aussi bien, il est fort possible, et nous aimons à le croire, que notre premier mouvement, ou sentiment, ait été le bon.


Ce n’est pas le cas de dire : « Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. » Avant d’entendre la cloche, à la fin d’un drame lyrique en un acte, qui dure une bonne heure, au moins, que de sons n’a-t-on pas entendus, et lesquels !

Ce drame se passe dans une petite ville de Russie, de la Russie d’avant Brest-Litowsk. Un vieil invalide, mutilé de guerre, d’une guerre d’autrefois, a recueilli chez lui, pendant la dernière guerre, un soldat convalescent, Yascha. Manouchka, sa fille, s’en est énamourée. « Chez lui, » c’est dans le beffroi, dont le vieux brave a la garde. Or « l’ennemi » — sans qu’on le nomme vous devinez lequel, — arrive aux portes de la ville. A peine y sera-t-il entré que le sonneur, — par ordre supérieur, — sonnera la cloche. A ce signal, le pont sur la rivière doit sauter, afin de permettre la retraite des troupes russes. Cependant l’amoureuse Manouchka, résolue en secret à se faire enlever par Yascha, vient de lui donner rendez-vous ce soir même, tout à l’heure, sous la première arche du pont. En apprenant de son père l’explosion prochaine, elle perd la tête. Folle de désespoir, elle adjure le sonneur de ne point sonner. D’où conflit et presque pugilat entre la fille et le père, entre l’amour et l’honneur. Ce dernier l’emporte à la fin. Morte à demi, Manouchka se laisse arracher la clef de l’escalier du beffroi, qu’elle avait dérobée. La cloche sonne, le pont saute, écrasant Yascha sous sa ruine et Manouchka tombe sans connaissance, ou sans vie.

L’œuvre, — nous parlons maintenant de l’œuvre musicale, — est de celles dont on dit volontiers qu’elles représentent « un bel