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qu’elle n’y porte pas une émotion esthétique et patriotique à la fois.

Dans notre musique de théâtre aujourd’hui, rien ne nous paraît plus touchant, d’une touche plus forte et plus profonde, que ce salut et ce baiser de Charlemagne à Durandal enfin remise entre ses vieilles mains. Majesté, tendresse et même pitié, — comme pour une créature humaine, — pour l’arme glorieuse et longtemps humiliée, autant de sentiments, et d’autres encore, orgueil, enthousiasme, qui viennent affluer au cœur héroïque, l’emplissent et peu à peu le débordent. La magnificence de la musique tient justement à ceci qu’elle n’a rien négligé de ce « cœur innombrable, » qu’elle en exprime la plénitude et la diversité. Aussi bien, pour y réussir, elle a réuni toutes ses puissances, fait appel à toutes ses vertus. En cette effusion lyrique l’orchestre a sa part. Le trémolo de tout à l’heure ne saurait plus lui suffire ici. Non content d’accompagner le chant, ou de le soutenir, chantant lui-même, il le renforce et le multiplie. Il bouillonne, il ruisselle à l’entour, il l’entraîne, le soulève, et la musique alors donne l’exemple, un exemple insigne, de ce que peuvent les forces rassemblées de la symphonie, lorsque, plutôt que de l’asservir, elles servent la force unique de la voix.

L’une et les autres concoururent à l’excellente exécution de l’œuvre de M. Rabaud. Représentée d’abord à l’Opéra-Comique, la Fille de Roland s’y trouvait à l’étroit. Son entrée à l’Opéra vient de résoudre à son avantage la question ubi, qui n’est jamais indifférente.

On a plaisir à louer de plus en plus chez M. Franz, (Gérald), d’autres qualités encore que des qualités vocales. Quant à M. Delmas, (Charlemagne), il semble que son art, son très grand art, ait je ne sais quoi d’immuable et que le temps ne saurait altérer. Il a composé le per sonnage impérial avec autant de sobriété que de grandeur. A son exemple, le chanteur et le comédien, ici le tragédien distingué qu’est M. Rouard, dans le rôle d’Amaury-Ganelon, s’est gardé de l’excès et de l’emphase. Les deux artistes ont joué et chanté beaucoup plus en dedans qu’en dehors une scène du troisième acte, scène de remords et de pardon, fort belle, d’une beauté pour ainsi dire intérieure, et qu’ils ont su rendre. Enfin la « conduite » de M. Gaubert est toujours irréprochable, unissant la vigueur à la souplesse. Avec un chef d’orchestre tel que celui-là jamais rien n’est à redouter, pour personne. Que par hasard un chanteur, — cela se voit, ou s’entend. — vienne à « sauter » une demi-douzaine de mesures, M. Gaubert le rattrape en un tournemain, et le saut, qui risquait d’être mortel, n’a pas même de périlleux.