Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/686

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme vivant, dont on ne connaît l’existence que par un acte de loi, et que sa femme elle-même, la reine Sudarshana, n’obtient de rencontrer que dans une ombre profonde ? Les uns le nient, les autres le confessent, sans qu’il daigne sortir de son mystère et se manifester. Cependant, un usurpateur se fait passer pour lui ; le Roi ne s’émeut pas et ne tente rien pour le confondre. Il promet seulement à la Reine qu’il sera le soir de la fête dans les jardins du palais : à elle de le deviner et de le reconnaître. La folle, comme on s’y attend, devine mal et se jette au cou du roi de clinquant. Il faut de longues aventures et de dures humiliations pour lui démontrer son erreur. Il faut que son orgueil soit brisé, que la curiosité, le dépit, se changent en simple acceptation, que les sentiments d’amour-propre cèdent la place à ceux d’une entière soumission et d’un complet oubli de soi, d’un abandon total à la volonté du Maître : alors se produira la révélation. Le cœur se montre au cœur et l’amour à l’amour.

Je crains qu’un résumé si sec ne laisse subsister que peu de chose du charme d’un tel conte. L’analyse lui fait perdre sa principale beauté, l’attrait de cette succession d’image ? d’un sens incertain, qui font naître tour à tour des interprétations diverses, pareilles aux formes changeantes d’un nuage au soleil couchant. On hésite entre divers symboles, et cette indécision accroît la richesse du poème. Tantôt on est tenté d’y voir un drame individuel, le drame de l’âme que séduisent les apparences, que distraient et dissipent les choses du dehors, et qui ne se possède qu’à la condition de descendre jusqu’au fond d’elle-même, dans cette région souterraine où par le la vérité et où s’entend la voix du maître intérieur. A d’autres moments, ce prince ténébreux qui ne se manifeste que dans l’ombre et le silence, et refuse de se déclarer contre ses blasphémateurs, ressemble à ce Dieu patient qui se contente de paraître dans l’ordre universel, et souffre sans colère les empiétements de la créature. D’autres fois enfin, à côté de ce sens religieux, on ne peut s’empêcher d’en distinguer un autre : ce roi caché qui laisse faire, qui ne se montre pas, qui laisse même douter de lui, et qui ne daigne pas protester contre les fausses puissances et les idoles du jour, même lorsque la reine est égarée par elles, sûr que son heure viendra et que le souverain légitime rentrera tôt ou tard en possession de son royaume, ce prince mystérieux et noir comme la nuit, qui attend en silence le retour de ses fidèles,