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anglais qui a le mal du pays et ne comprend rien à la tendresse de sa petite bonne hindoue, n’a d’ailleurs aucun rapport avec le drame du même nom. Mais quel sujet de rêveries qu’un bureau de poste, que ces fils aériens sur lesquels glissent les pensées et qui propagent, plus vite que l’oiseau, les nouvelles muettes ! Tout ce qui sert entre les hommes de lien, de signal, la cloche, le phare, le message, est un thème de poésie. Qui ne se souvient d’avoir passé des heures dans son enfance à deviner le bruit des cloches, ou à se demander comment les mots voyagent sur la longue harpe des télégraphes ? Comment leur mystérieux murmure émeut le silence attentif des campagnes ! Il n’en a pas fallu davantage pour servir de motif à la jolie pièce de Tagore. C’est aussi un rêve d’enfant ; Tagore est le plus tendre des poètes de l’enfance. Et peut-être n’a-t-il rien écrit de plus simple et de plus humain, que ce petit drame du Bureau de poste.

Le petit Amal est bien malade. On ne sait pas ce qu’il a. Sa santé désole le bon papa Madhav. Le médecin ordonne la diète, le repos ; il cite les auteurs et hoche la tête d’un air sévère. Surtout pas de fatigue, pas d’agitation. Et pas de courants d’air ! Qu’on tienne l’enfant à la chambre et que tout soit bien clos : que le malade ne s’échauffe pas, qu’il ne prenne pas de refroidissement ! Et le petit prisonnier, seul tout le jour à la maison, tandis que le grand-père Madhav est à l’ouvrage, rêve.

Seul ? Non, il est à la fenêtre et il regarde les gens qui passent : cette fenêtre est tout ce qu’il connaît du monde, et cela lui suffit pour imaginer le vaste univers. Il appelle les passants, se fait raconter des histoires, et toute la vie, telle que la conçoit un enfant, défile dans le cadre étroit de la fenêtre : voici le laitier, le sonneur, le maire grotesque et important, et l’ancien du village, le doux bohème qui sait de si beaux contes, et Sudha, la petite marchande de bouquets, qui s’en va sur la pointe des pieds en lui promettant des fleurs. Et chaque fois l’enfant imagine combien elle est charmante, cette vie qu’il ignore : comme ce serait beau de cueillir des fleurs avec Sudha, de partir avec le laitier traire les vaches sur les collines, et d’aller voir le monde là-bas, par-dessus l’épaule des montagnes. Et le petit enfermé qui se construit le roman de la vie avec des bribes de sensations, des désirs et des songes, rappelle la sublime allégorie platonicienne de la caverne. Mais une chose surtout le fait rêver : ce beau bâtiment neuf de la poste, avec ses fils magiques