Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au point de nuire aux autres travaux. Enfin quelques cas d’intoxication s’étant produits, provoqués par des fruits et des feuilles mangés ou broutées encore frais de la pulvérisation, ils estimaient le remède pire que le mal. Ils désespéraient d’un fruit que l’on ne pouvait sauver qu’en l’empoisonnant. Certains, les premiers temps, se montrèrent irréductibles. On eût dit que tout se liguait pour servir le fléau : l’impuissance, l’inexpérience, le mauvais vouloir des hommes, les exigences du sol ; que quelqu’un d’implacable se plaisait à multiplier sous ses coups nos tâtonnements, nos hésitations, nos erreurs... Par un contraste cruel, la nature abondait en richesses végétales. Jamais jours plus radieux, matins plus étincelants, soirs plus somptueux ; prairies, moissons, champs de maïs plus gras d’herbe et lourds de grains, opulents ; jamais de bois encombrés de plus de pousses, noirs de plus d’ombre : et, au milieu, ou côte à côte, ou en lisière, des sillons et des sillons de vignes squelettiques, sans une feuille droite, sans un raisin pendant.

Rien n’avait l’air de vivre dans ces cimetières de ceps tordus, dépouillés et dévorés, où quelques sarments tremblaient au toucher du vent, dont la lumière épanchée à flots accusait encore la maigre nudité... Quand des savants nous arrivèrent des laboratoires des grandes villes pour le réduire, le fléau était à son comble et la dévastation chronique. Les plus heureux ne récoltaient pas de quoi boire le tiers de l’année sur toute l’étendue de leur vignoble. Et l’on restait là béant, devant le ravage annuel, l’esprit et les bras effondrés. Les expérimentateurs choisirent des terrains de lutte. Ils s’y établirent ; d’aucuns, des années. Ce sont eux qui, la loupe à l’œil, découvrirent les prodromes du mal, les époques et la marche de l’invasion, le moment des traitements. Dans leurs chambres d’expérimentation, ils hâtaient l’apparition du champignon, le développaient, le suivaient à la trace. Enfin, ils trouvèrent une formule de traitement préventif, et les doses et le mode d’application, et puis ils nous quittèrent en nous laissant pour mot d’ordre : « Veillez... »

Jusque-là cette fois, on se crut vaincus. Les dernières ressources étaient épuisées. Il n’y avait plus une bête à vendre, un bois à abattre. Les plus tenaces, qui avaient servi de conseils et d’appuis, lors du premier assaut, gardaient juste assez d’énergie pour ne point s’abandonner. On recourut aux