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heures-là. Et puis on ne savait que trop que le soleil lui-même, le soleil, père des vins, ne pouvait plus rien maintenant pour ces débris noueux. Lui, qui met des visages jusque sur les rocs, ne parvenait pas à animer ces amas de choses finies, roulant à l’allure lente des bœufs, devant lesquelles les vieux paysans se découvraient comme au passage d’un convoi.

La résistance s’organisa dans les grandes propriétés, avec les moyens de lutte dont j’ai parlé. Mais là seulement. Comment aurait-on fait ailleurs ?

Ici, apparut la nécessité de domaines dans un pays ravagé, de terres pouvant faire champs d’expérience. C’est une des fonctions du grand possédant d’essayer et de tenter, quel que soit le coût. Lui seul, en ces temps de crise, est à même d’acheter instrument et remèdes, de risquer une méthode, de dresser un personnel, de faire école, de voir venir, d’attendre. Lui seul peut être libéral. Nul ici ne faillit à ce devoir. De toutes parts, par la parole et la brochure, on préconisait le cep américain greffé. On greffa sur table, on greffa sur pied. On replanta. Mais cela dura dix ans : dix années vides de revenu, autre que celui que l’on mangeait, son blé, son maïs, sa volaille ; alourdies encore des débours de la reconstitution et de charités multiples. L’argent s’épuisa. Il ne resta plus que la terre, endolorie encore, et livrée à la merci du ciel. Cependant, les foyers et les cœurs avaient tenu. Il ne s’agissait plus que de travailler, de peiner. Les seuils se rouvrirent. Mais la mélancolie du sourire qui vous accueillait décelait les maux endurés.

Ce fut alors que le cryptogame, que la plaie biblique se déchaîna. Non plus par bonds, par invasions successives comme la bête ; mais à la manière d’une épidémie, dans un débordement soudain. Toute la contrée fut infestée à la fois. D’une semaine à l’autre, les feuilles desséchées tombaient des sarments comme elles choient des arbres sous le gel ; du matin au soir les fruits pourrissaient.

J’ai vu des raisins se corrompre pendant le traitement même, sous le jet de l’appareil, car on erra longtemps dans l’emploi du sel de cuivre, soit comme dosage, soit comme opportunité d’application. Les plus belles récoltes duraient le temps de les voir, de les « espérer, » disaient les paysans. De plus, ceux-ci ne sulfataient qu’avec répugnance. Ils trouvaient ce labeur inaccoutumé écrasant ; ils le jugeaient trop absorbant,