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aussi l’écartement à prévoir de pied à pied, dont j’ai parlé. Restent l’écimage et l’ébourgeonnement. Ils ont pour but d’empêcher les pertes de substance, de refouler la sève vers le raisin. On écime dès la floraison faite, on abat toutes les pointes qui dépassent le corps feuillu. On opère avec une faucille, à l’allure du pas, d’un revers de main, à droite et à gauche. On ébourgeonne tout le cours de l’été, en décollant les rejets stériles qui naissent sur la souche. Le tout, combiné, maintient le pied à son maximum de rendement, sans lui demander plus que l’on ne peut lui rendre par l’amendement. Dans les années abondantes en fruits, les vignes, à ce régime, poussent encore, au bout des sarments écimés, des grappillons qui fournissent un second vin, récolté plus tard, faible il est vrai, mais utilisable. Tonifié par des apports de sucre répandu sur la vendange avant de la presser, il est bu avec plaisir par le personnel, l’hiver, durant les journées oisives, et permet d’économiser le vin de première cuvée...

Ainsi sont créés, adaptés, soignés ces hybrides qui ont repeuplé la terre de France de ceps tenaces, chargés d’espoir...


XI. — L’ÉPREUVE


Novembre 1922.

Ce que je n’ai pas dit, dans cet exposé à grands traits, ce sont les tribulations par lesquelles nos pères ont passé. Le racine-greffe et le sulfate de cuivre étaient d’un emploi continu quand nous, leurs fils, sommes arrivés à la vie d’hommes, à la direction de nos biens. La lutte pour l’existence de nos vignes était close, l’horizon, l’avenir dégagé. Une grande espérance se levait. Il est bon que nos fils, à nous, sachent ce que l’œuvre de famille a coûté en ces temps-là pesée au poids des sueurs et des angoisses. Ils puiseront, dans ce souvenir, le désir et le souci de la continuer dignement, opiniâtrement à l’occasion ; ils trouveront un exemple, une leçon ; ils apprendront que toute histoire humaine, si humble ou haute soit-elle, reste soumise à des vicissitudes inattendues, et que, si les joies et les peines se balancent finalement pour la série des êtres qui constituent une race, il est des individus et des générations sacrifiées, appelées on dirait par leurs épreuves à payer rançon pour le bien-être et le bonheur des autres, ou passé ou futur. Et leur cœur, en y