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considéré comme père, la grappe de fleurs la plus opulente aussi, et on vient la secouer au-dessus de la vigne amputée, dont le temps de réceptivité est arrivé. Et puis on couvre la grappe à la hâte, on l’entoure d’une coiffe de papier ficelée, on la met à l’abri du vent et des insectes qui troubleraient la sève en mélangeant les germes. Et c’est là sous ce voile qui l’enferme, comme en un sanctuaire tout saupoudré de poussière féconde, que l’organisme absorbe l’être et la vie, et que le grain prend peu à peu la place de l’atome au fond du pistil dilaté, et que la vigne-mère germe des fruits sucrés qu’elle ne connaissait pas...

Il arrive que le cep choisi comme mâle ou père fleurisse trop tôt ou trop tard pour que sa grappe soit employée directement par chute artificielle de pollen, à féconder le cep considéré comme mère. S’il fleurit trop tôt, on recueille et on garde le pollen entre deux verres de montre jusqu’au moment de s’en servir. Cette fois, on ne le fait plus pleuvoir. On use d’un pinceau que l’on trempe dans l’amas des germes, et dont l’on touche ensuite doucement les stigmates. S’il fleurit trop tard, ou bien on s’adresse à un champ d’expérience plus précoce, ou l’on prend du pollen de l’année d’avant, mis soigneusement à l’abri de la lumière et de l’humidité. Le pollen voyage et est conservé dans la même enveloppe de verre ; le procédé d’attouchement reste identique.

Ce n’est pas tout. Les grappes hybridées arrivées à maturité, on les récolte. Car il s’agit de multiplier les plans. L’hiver venu, on extrait les pépins des grains, on les noue dans des sachets de toile, et on les enfouit dans du sable humide. Il ne faut pas que l’embryon de vie qu’ils recèlent se dessèche. Au printemps, mû toujours par la même idée, de peur que leur verdeur n’ait décru, on les fait tremper dans l’eau durant huit ou dix jours mais par intermittence, et, leur élasticité native, leur faculté germinative recouvrée, on les sème. Les semis sont établis soit en serre, soit en pleine terre. Celle-ci a besoin d’être particulièrement souple, ameublée, pulvérisée. Là ils germent, émettent des racines comme un fil, s’alimentent insensiblement, et un à un, suivant leur force, percent la couche poudreuse qui les protégeait et viennent à la lumière. Si frêles, si fragiles que l’on a peine à concevoir comment ils ont soulevé et brisé leur coquille de terre. C’est un petit peuple innombrable, où chaque individu aura sa forme, son port, sa couleur, sa façon d’exister enfin ;