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pis est qu’outre l’eczéma nerveux dont je souffrais depuis les premiers jours de ma captivité, des abcès commençaient à se former sur tout mon corps. Cela débuta par un énorme charbon sur le dos, près de l’épaule : ma température était très élevée, j’avais le dos endolori. A la prison, les « nary » étaient remplacés par des sortes de lits de camp, simples rectangles de fer tendus de grosse toile. Ces lits de camp étaient rabattus pour la nuit, mais la règle prescrivait de les tenir dressés verticalement pendant la journée. Chaque prisonnière se tenait assise sur un petit escabeau, — « sobatchka » (petit chien) dans le jargon de la prison. — C’est ainsi que je passais mes journées. La nuit, j’étais dans l’impossibilité de dormir, ne pouvant me coucher, ni sur le dos, ni sur le côté, sans que mes abcès me fissent un mal affreux. Un proverbe dit : long comme un jour sans pain. J’avais mes jours sans pain. En effet, pour éviter de donner mon linge à laver dans la lessive générale, avec celui de ces femmes, presque toutes avariées, j’avais commencé par laver mon linge moi-même ; mais, dans l’état de faiblesse où j’étais, je me trouvai obligée de louer une des prisonnières pour me remplacer dans cette besogne, et de lui abandonner ma portion de pain en paiement.

Finalement, je fus envoyée à l’hôpital de la prison. Les salles de l’hôpital différaient fort peu de celles de la prison, mais elles étaient moins bruyantes. J’y gagnais, en outre, d’être entourée de personnes convenables, ce qui était pour moi un immense soulagement. Mme Sazonoff, femme de l’ancien ministre des Affaires étrangères, était là. Et là aussi une des cocottes les plus connues de Moscou, Valentine Botina.

Mes abcès ne disparaissaient pas : le charbon avait atteint des dimensions énormes, il fallait le percer, mais il n’y avait pas de quoi désinfecter les instruments. Le docteur décida d’opérer sans instruments ; en usant de ses deux mains, il pressa le charbon de toutes ses forces : je criai de douleur. Il n’y avait ni bandages, ni teinture d’iode, et ma plaie resta huit jours sans être pansée. C’est un miracle si j’évitai l’infection avec cette plaie ouverte, dans un hôpital pullulant de poux.

Le personnel de l’hôpital était entièrement anti-bolchéviste : le docteur S. et les aides-chirurgiens auraient voulu tout faire pour moi ; mais ils ne pouvaient s’exposer aux reproches du favoritisme. De même, les autorités de la prison, depuis le