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me rappelait un temps dont nous aimions à nous ressouvenir. Si le menu de nos repas se ressentait de la pauvreté des ressources du pays, j’avais du moins la satisfaction d’offrir d’excellents vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne que j’avais apportés avec moi.

Les belles vendanges de cette année donnèrent lieu à de nombreuses parties de vigne qui furent aussi gaies qu’agréables. C’était presque une nouveauté pour moi qui n’avais pas joui de ces fêtes champêtres depuis 1803.

Après plusieurs courses dans les environs, et un séjour chez mes bons parents de Brioude, l’heure de se séparer arriva. Quoique les beaux jours et la saison des plaisirs fussent passés, je ne vis pas approcher sans regrets le moment où il fallut embrasser, peut-être pour la dernière fois, mes frères, mes amis et surtout ma sœur que je laissais avec peine derrière moi. Elle me conduisit le 6 novembre à Lempde, où nous avons couché parce qu’elle voulait me mettre elle-même dans la diligence. Notre séparation, qui eut lieu le 7 au matin, fut bien triste.

A Lyon, Barrès apprend qu’il ne peut pas être définitivement libéré avant que sa mise à la retraite n’ait paru au Bulletin des Lois. Après des semaines d’incertitude, il décide de demander au général Aymard un nouveau congé et d’aller attendre à Charmes le bon plaisir du Bulletin officiel.

Le 19 janvier 1835, j’arrivai à Charmes, dans la matinée, où j’eus le plaisir de trouver mon fils et la famille de mon beau-père en parfaite santé.

Quoique je ne pusse pas encore me considérer comme entièrement libéré du service, je ne m’occupai pas moins de mon prochain établissement avec toute l’activité que l’on déploie dans les choses qu’on fait avec plaisir. Je me mis, peu de jours après mon arrivée, à la recherche d’un logement convenable, et, après l’avoir trouvé, à surveiller les travaux d’arrangement et d’embellissement, à acheter les meubles et autres objets de ménage que je dus prendre à Nancy, Lunéville, Epinal ou Charmes, selon les avantages que je trouvais à me les procurer dans l’une ou l’autre de ces villes.

Ainsi s’est terminée une carrière qui, si elle n’a pas eu un grand éclat, a été du moins utile à la France et honorable pour moi. Je dis, avec orgueil, honorable, parce que, pendant trente