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Je partis le 10 août et je fis la première partie de ma route dans le convoi du chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne. C’était la première fois que j’usais de cette manière de voyager. Je la trouvai agréable et surtout très commode, quoiqu’elle fût loin d’être aussi impétueuse qu’elle l’est devenue avec la vapeur. Les voitures bien suspendues, très commodes, tirées chacune par deux forts chevaux, lancés au grand galop, avaient une vitesse de 3 1/2 à 4 lieues à l’heure. De Saint-Etienne à Givors, elles descendaient sans être attelées, la légère inclinaison qui se trouve entre ces deux points suffisant pour leur donner une impulsion de 6 à 7 lieues à l’heure.

Par Monistrol, Yssingeaux, le Puy et Brioude, j’arrivai le 13 août à Blesle, après une absence de plus de trente années ! Mon frère puiné, militaire comme moi, en retraite depuis moins d’un an, vivait avec ma sœur. Comme c’étaient eux que j’allais voir spécialement, ce fut naturellement dans leur maison que je descendis. Ils étaient pour moi les successeurs de mon père et de ma mère, les représentants de la famille.

Une si longue absence, la mort des auteurs de mes jours, et de beaucoup de mes contemporains, auraient dû affaiblir chez moi les sentiments pour le sol natal, et la religion des souvenirs. Mais, malgré tant de causes d’indifférence et d’oubli, je ne me revis pas sans un ineffable plaisir au bien-aimé séjour de ma première jeunesse. Les trois mois que je devais passer dans cet humble vallon, si calme et si pittoresque, avec les miens et avec les vieilles amitiés que le ciel m’avait conservées, ne pouvaient que m’offrir de riantes images et de délicieuses distractions, selon le point de vue d’où je les envisageais. Je sentais le besoin de jouir de la remarquable faveur qui m’était accordée, après tant de dangers, de fatigues et de vicissitudes, de me retrouver dans les lieux d’où j’étais parti à vingt ans sans trop m’inquiéter de ce que je deviendrais. J’étais venu chercher d’intimes jouissances, je fus assez heureux pour les rencontrer et les apprécier avec la vive foi d’un homme qui regrette d’en être privé sur ses vieux jours.

Mon arrivée fut l’occasion de fréquentes et nombreuses réunions, soit chez mes parents et amis, soit chez moi. Pour répondre à tant de marques d’affectueuse amitié, je donnais à diner presque tous les lundis à dix ou douze personnes, des parents, de bons amis, de vieilles connaissances, dont la présence