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Atteint d’un rhumatisme à la tête, Barrès obtient peu après un congé de convalescence qu’il va passer à Charmes. Mais l’insurrection de Lyon l’oblige à repartir le 16 avril. A son arrivée à Lyon, la ville est calme depuis trois jours, après des combats meurtriers où plus de trois cents hommes de la garnison avaient été mis hors de combat.

Le 8 juillet 1834 marque pour Barrès la cinquantième année de son âge ainsi que ses trente années révolues de services.


APRÈS TRENTE ANS DE SERVICES

Ce jour, longtemps désiré, me trouva assez disposé à profiter de l’avantage qu’il m’accordait pour finir honorablement ma carrière militaire et demander ma retraite. Depuis quelques années, je commençais à sentir le besoin de me reposer, de vivre un peu pour moi, et de jouir de cette pleine indépendance qu’on ne peut goûter que dans la vie civile et commodément que dans son ménage.

Sans être bien décidé, sans être absolument ennuyé du noble métier des armes, j’étais cependant entraîné à cette résolution par le besoin de me rapprocher de mon enfant, de veiller à son éducation, de le diriger, selon mes faibles facultés, dans la voie du bien, et de lui faire comprendre de bonne heure les dangers qu’on doit éviter pour ne pas se perdre au début de la vie. Je m’alarmais facilement quand on négligeait de me donner de ses nouvelles ; j’étais, dans ces moments d’attente, d’une inquiétude désespérante, ce qui me rendait l’existence pénible et le caractère triste et morose. Mes deux familles me pressaient de quitter le service, de conserver pour mon enfant mon existence tant de fois compromise, et si heureusement protégée contre tous les périls d’une longue carrière remplie d’accidents. Malgré moi, et avec la meilleure volonté, j’avais perdu cette énergie brûlante des premières et meilleures années, cette activité si nécessaire dans le service, pour remplir consciencieusement son devoir, quand on a l’amour-propre de faire au moins aussi bien que les autres, et donner de bons exemples à ses inférieurs. Les grandes manœuvres, le cheval, mon embonpoint me fatiguaient assez pour me décourager. D’un autre côté, je me voyais à regret condamné à me retirer avec mon grade, tandis que j’avais la certitude d’être nommé