Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils furent traités par les officiers de la garnison comme des camarades malheureux, comme d’anciens compagnons de gloire, que la proscription poursuivait, après de glorieuses défaites. Mais la ridicule entrée des généraux de circonstance Romarino et Langerman, et quelques mauvais procédés de certains officiers polonais, nous refroidirent : nous nous aperçûmes que les Boussingots de Strasbourg voulaient profiter de leur arrivée pour se faire des partisans et susciter des embarras au Gouvernement.

En novembre 1832, nous avions pris, le colonel, le major Aguilloni et moi, toutes nos mesures pour notre hiver. Nous mangions ensemble et nous passions habituellement nos soirées dans la même maison, chez des dames d’une parfaite aménité, où se réunissait tout ce qu’il y avait de plus distingué dans la ville. On y faisait de la musique, on y dansait, on y jouait. Je me serais trouvé très heureux que mon hiver se passât dans cette douce et charmante oisiveté. J’étais logé agréablement ; les occupations dans cette dure saison n’avaient rien de pénible, le vent impétueux, la pluie battante, tous les autans déchaînés, m’étaient indifférents, parce que j’espérais être à l’abri de toutes les intempéries. Bref, je me livrais avec le bon docteur Margaillant, mon voisin d’appartement, aux charmes de la paix et aux douceurs du coin du feu, lorsque, dans la nuit du 9 au 10 novembre, je fus subitement réveillé par mon adjudant, qui vint m’apprendre, sans égard pour mes charmants rêves, notre départ pour la Belgique.

C’est une nouvelle campagne qui s’annonce. Deux bataillons de guerre et deux compagnies d’élite sont formés en hâte, au prix d’un travail incessant. Le 12 novembre, en route pour Mézières, Barrès fait halte à Niederbronn, où il est logé chez M. Dietrich, l’ancien maire de Strasbourg. Arrivé à Mézières, le régiment est désigné pour faire partie de l’armée de réserve qui se forme sur la Meuse, afin d’empêcher les Prussiens de troubler le siège d’Anvers. Celui-ci aboutit bientôt à l’expulsion des Hollandais. Le but de l’expédition en Belgique ayant ainsi été atteint, Barrès reçoit à Charleville l’ordre de se rendre à Sedan, pour faire place aux troupes qui revenaient du siège. Il y reste une quinzaine de jours, puis va prendre d’autres cantonnements. En février 1833, il reçoit enfin l’ordre de regagner sa garnison d’Alsace, après quatre mois d’une « course armée » rendue fatigante par les pluies, et le froid.