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ne fût pas connu en province. Chercher à les convaincre qu’ils répandaient des mensonges, eût été en pure perte : ils voulaient faire du bruit, montrer de la sympathie pour les révoltés de Paris, et prouver qu’ils étaient dignes de les imiter. Pour rassurer la population, la garnison prit les armes et ses bataillons se portèrent sur différents points de la ville.

Mon bataillon fut établi sur la place d’Armes, où il resta depuis trois heures de l’après-midi jusqu’à une heure du matin. Pendant le jour ne parurent sur la place que des enfants qui sifflaient, insultaient, ou jetaient des projectiles peu dangereux aux officiers et aux soldats. Mais, la nuit venue, les meneurs entrèrent en jeu ; les attroupements devinrent considérables et les cris anarchiques retentissants. Pour en finir avec cette tourbe d’aboyeurs, le général Brayer me donna l’ordre de les charger à la baïonnette et de faire évacuer la place. Ce qui fut exécuté sans accident ni résistance. Plus tard, il me donna l’ordre de faire lire par un commissaire de police la loi martiale, dans la rue des Arcades où était le plus grand rassemblement : je m’y rendis à la tête de mes voltigeurs, avec un tambour pour faire les roulements, et avec des torches en flammes pour donner plus d’apparat à cette grave mission. Avant de commencer la lecture, je signifiai qu’une fois celle-ci terminée, je ferais trois sommations pour inviter le public à se retirer et qu’alors je commanderais le feu. J’avais autour de moi les généraux Brayer, commandant la division ; Tririon, commandant le dépôt du Bas-Rhin ; Lallemand, commandant la cavalerie stationnée en Alsace ; et Marion, l’école d’artillerie. Il y avait quelque chose de sublime dans cet appareil de la force qui éclaire avant de frapper. A la première sommation, la foule commença à s’égailler ; à la deuxième, elle disparut presque entièrement ; à la troisième, cette longue rue fut déserte, et à onze heures, toute la ville reposait dans un calme profond.

Telle fut la part que le parti de Strasbourg, pour répondre aux engagements qu’il avait contractés avec celui de Paris, prit aux journées de juin. Sans être trop belliqueux, il fut odieux, par les graves insultes qu’on adressa aux généraux présents, et par les quelques contusions que les officiers et les soldats reçurent, dans l’obscurité, des pierres jetées dans leurs rangs. Il n’y eut pas un seul habitant atteint, mais il fallut toute la