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LE CHOLÉRA DE 1832

Au mois d’avril 1832, Barrès reçut la visite de ses beaux-parents et de sa belle-sœur, qui lui amenaient son jeune fils ; il eut la joie de les garder quelques jours auprès de lui et de montrer le Rhin à son fils. Mais un terrible fléau allait multiplier pour lui les deuils.

Mai et juin 1832. — Peu de jours après le départ de mes visiteurs, on m’écrivit que le choléra, qui faisait de grands ravages à Paris et dans les environs, venait de se manifester à Charmes avec beaucoup de violence. Cette sinistre nouvelle m’accabla d’épouvante. Comment croire possible l’invasion de cette terrible maladie dans une ville saine, propre, aérée, quand elle n’avait pas encore pénétré dans la Lorraine, et était encore à plus de quarante lieues de distance du point où elle venait de se déclarer ? Comment avait-elle passé par-dessus de grandes villes, des montagnes et des fleuves, sans laisser aucune trace de son gigantesque enjambement ? Ce furent de cruelles appréhensions à endurer.

Elles ne se réalisèrent que trop. Mon beau-frère, notaire à Charmes, âgé de moins de trente ans, fort et bien portant, fut frappé de cet horrible mal, le 24 juin, et peu d’heures après, ce n’était plus qu’un cadavre. Sa jeune fille, l’ainée de ses deux enfants, le suivit de près. Dans le même moment, une de mes belles-sœurs, Mme Elisa Belfoy, se mourait d’une maladie de langueur et succomba le 5 décembre. Tant de malheurs arrivés dans la famille en si peu de temps me brisèrent le cœur…


UNE JOURNÉE RÉVOLUTIONNAIRE

9 juin. — Les journées révolutionnaires et républicaines des 5-6 juin, à Paris, de sanglante mémoire, eurent un retentissement à Strasbourg, où les révolutionnaires de la capitale avaient des adeptes fanatiques. Nous fûmes sur le qui-vive jusqu’au 9 ; dans cette journée, les frères et amis, honteux de leur inertie, signifièrent au préfet que, la République étant proclamée à Paris, ils voulaient aussi qu’elle le fût à Strasbourg. Ils disaient que ce fait était attesté par toutes les correspondances et que le Gouvernement déchu, en sortant de Paris, avait fait briser la ligne des signaux pour que ce grand changement