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régiments furent rétablis ; et le sixième et dernier, je l’espère, tricolore avec le coq gaulois. Quant à la décoration de la Légion d’honneur, elle avait eu aussi ses vicissitudes. En 1814, l’effigie de Napoléon et l’aigle impériale furent remplacées par l’effigie de Henri IV et les armoiries de France aux trois fleurs de lys ; 1815 ramena la décoration à sa forme primitive ; la catastrophe de Waterloo rétablit les Bourbons et avec eux les changements de l’année précédente ; enfin la Révolution de Juillet substitua aux fleurs de lys de la monarchie du droit divin, les drapeaux tricolores de la monarchie représentative régénérée. Ainsi les écussons sont maintenant, d’un côté la figure de Henri IV et de l’autre deux drapeaux croisés avec la devise fondamentale « Honneur et Patrie. » La croix de Saint-Louis, sans être défendue, a cessé d’être portée...

La revue terminée, on défila rapidement, et même au pas de course, après avoir dépassé le Roi, pour dégager le terrain et laisser de la place à la cavalerie et au matériel. Il était près d’être nuit quand on rompit les rangs, sur la place du Temple neuf. Nous étions restés plus de quatorze heures sous les armes.

Après avoir réparé le désordre de ma toilette, je me rendis au château pour y monter la garde comme officier supérieur de jour, et le plus ancien chef de bataillon de l’infanterie. Ces deux titres me donnaient le droit de m’asseoir à la table du Roi. J’y pris place comme officier de service, et je fis grand honneur au banquet royal. Il y avait deux tables dans la même salle, de quarante-cinq à cinquante couverts chacune : le grand-duc de Bade, son frère, son beau-frère et les grands de sa cour, les envoyés de Bavière, du Wurtemberg, Hesse-Darmstadt, Francfort, etc., des généraux en activité de service ou en disponibilité, les commandants des gardes nationales, et plusieurs chefs de corps. Presque toute la suite militaire du grand-duc de Bade était décorée de la Légion d’honneur. C’étaient des officiers qui avaient autrefois combattu dans nos rangs. Je causai longtemps avec plusieurs d’entre eux, de nos anciennes guerres et de l’espérance qu’on avait que la paix ne serait pas troublée. La revue, la belle tenue, le degré d’instruction où notre jeune armée était déjà arrivée, les avaient vivement frappés. « Il n’y a que des Français, disaient-ils, capables de faire en aussi peu de temps d’aussi grandes choses. »

Après le diner, le Roi se rendit à la salle de spectacle où la