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Ce n’est pas que cette grandeur, en effet, soit entièrement stabilisée. A l’intérieur, subsistent encore bien des traces d’un passé indolent. Dans ses relations extérieures, son ambition dépasse quelquefois ses ressources présentes. Mais cette ambition même est un puissant ressort d’action. Il faut faire confiance aux destinées de l’Italie, non pas malgré les troubles dont elle est le théâtre, mais à cause de ces troubles mêmes, dont je persiste à croire, arrivé à la fin de mon enquête, qu’ils représentent une exubérance de vie. Il faut croire aux ressources infinies de l’âme italienne, non pas malgré les contradictions qu’elle présente, mais à cause de ces contradictions mêmes, qui impliquent la diversité de ses richesses. Elle est accessible aux sentiments, cette âme aux multiples aspects ; elle est accessible aux moindres nuances des sentiments ; il est difficile de convaincre sa raison, si on n’arrive pas d’abord à l’émouvoir ; elle est susceptible à l’extrême, et, si vous la blessez, tout est perdu. Et en même temps, elle est pratique ; elle ne perd jamais la conscience de ses intérêts immédiats, qu’elle s’efforce de saisir aussitôt ; elle a le sens des affaires et le goût du profit. — Elle aime la rhétorique, les beaux discours et les grands compliments. Mais elle n’y croit guère ; et sa qualité dominante, tous les superlatifs du monde n’y feront rien, restera toujours le bon sens. — Elle aime la représentation, les apparences, le décor ; elle tient à « faire figure : » et rien ne lui plaît tant que la simplicité, la bonhomie, et quelquefois le sans-gêne. — C’est pour elle qu’on a inventé ce mot si doux, la gentilezza ; mais elle sait être violente et dure. — On l’accuse d’être trop habile et elle ne manque pas d’habileté, en effet : ce qui ne l’empêche pas de pousser la franchise jusqu’à la naïveté, jusqu’à la brutalité quelquefois. — Elle est individualiste. « Faccio il mio comodaccio, » grognait l’autre jour, dans un tramway de Rome, un individu qui persistait à cracher autour de lui, malgré le règlement, les hommes et les dieux ; ce qui revient à dire, en adoucissant : « Je fais ce qui me plaît, et je me moque du reste. » « Nous sommes naturellement indisciplinés, » me disait une Milanaise, dont le mari commande à des centaines d’ouvriers. On rapporte que D’Annunzio, lorsqu’il était à Fiume, passait une bonne partie de son temps à calmer des dissensions bruyantes, nées d’un individualisme excessif. Et cependant, les deux grands partis qui s’imposent maintenant