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qui nous accablent, et font de nous des esclaves, ne l’assujettiront pas ; à son gré, il chantera, comme les oiseaux, ou pensera, comme les dieux ; il sera libre. Je songe à celui que le hasard fait naître sous un ciel brumeux, dans les tristes villes du Nord qu’emplit le bruit des tissages ; tout le long du jour, et tous les jours de sa vie, il sera condamné à surveiller ses métiers, dans le grand hall que secouent les machines ; le soir, il s’en retournera vers son logis malsain, à travers le brouillard, sous la pluie, dans la neige ; les jours de fête, il ira demander une excitation factice au cabaret. Je songe à celui que le hasard fait naître au pays des mineurs, qui tous les matins descendra dans la fosse et tout le jour piochera son filon. Des injustices du sort, celle-là qu’aucune réforme sociale n’abolira jamais, est à n’en pas douter une des plus sensibles. Ceux que la nature n’a pas fait naître en ses paradis doivent aliéner leur liberté pour vivre : et propter vitam vivendi perdere causas. Mais n’exagérons-nous pas nous-mêmes cette loi ? Notre activité devient fébrile ; nous ne sommes jamais satisfaits du rendement de notre pauvre machine humaine, nous la pressons toujours davantage. Nous regrettons que les jours n’aient pas plus d’heures, pour les remplir de notre effort. Nous en arrivons à croire que seul, le temps où nous travaillons d’ahan est du temps gagné : le reste est perdu. Peut-être pourrions-nous revenir, au moins par moments, à une sagesse moins étroite et comme plus humaine. Reprendre notre équilibre ; ne pas ajouter, à notre présent qu’assombrissent encore les conséquences de la guerre, un excessif souci du lendemain ; quitter quelquefois notre labeur, et nous redresser vers le ciel ; respirer ; calmer notre fièvre, en consacrant le plus de temps possible à notre rêve ou seulement à notre loisir : ne serait-ce pas là peut-être, la leçon de Naples ?


SUR LA ROUTE DU RETOUR
CIVITA VECCHIA, NOVEMBRE

Il faut rentrer ; il faut s’arracher à ce pays qui nous retient par mille étreintes. Au moins peut-on s’attarder en route, pour dérober quelques jours encore au temps qui nous presse. Le chemin qu’on regrette le moins de prendre est celui des écoliers...

Comment résister au plaisir de voir, en faisant un crochet,