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de mainte pièce exquise, qui a derrière lui une glorieuse carrière, me raconte les déboires de ceux qui écrivent pour le théâtre. Chaque première est une véritable bataille ; l’auteur, fût-il très aimé du public, est férocement sifflé quand sa pièce ne plaît pas ; il doit toujours craindre une chute retentissante, même après les plus éclatants succès. On ne connaît pas ici les molles indulgences, les applaudissements polis, les compliments à fleur de lèvre, qui en France déguisent un échec. Passe encore pour cette rude épreuve. Mais voici qu’elle recommence de ville en ville : une pièce plaît à Naples, et déplaît à Rome ; à Turin, elle est portée aux nues, elle tombe à Milan ; le public de Venise est charmé, celui de Florence fait la moue. Pas de capitale du goût, pas de ville-lumière qui impose à l’obscure province ses arrêts définitifs : sans s’inquiéter du jugement de ses voisines, chaque ville, presque chaque bourgade, conserve la liberté d’applaudir ou de huer : tant restent vivaces, d’un bout à l’autre du pays, depuis Trapani jusqu’à Côme, les caractères originaux.

C’était une question de savoir si la guerre n’aurait pas effacé ces reliefs, fondu ces contrastes. Pas le moins du monde. Elle n’a pas brassé ensemble les soldats des provinces dissemblables : les Siciliens ont servi avec les Siciliens, les Sardes avec les Sardes ; le recrutement est resté régional, et régionaux les cadres, au moins les cadres subalternes : pas d’amalgame. Et même l’émulation qui a régné de régiment à régiment, de brigade à brigade, n’a pas laissé d’accentuer quelquefois la diversité des origines, en faisant de l’honneur régional un des ressorts puissants de l’âme du soldat. Tel se battait bien, parce qu’il était Italien sans doute, mais aussi parce qu’il était de Palerme ou de Sassari, et qu’il voulait montrer aux voisins de quoi l’on était capable, quand on était de Sassari ou de Palerme. La guerre, qui a parachevé l’unité politique du pays, qui a favorisé son unité morale en dépit des présentes dissensions, n’a guère atténué son régionalisme. Elle a puissamment servi l’idée nationale, elle n’a pas desservi les petites patries. Elle a unifié sans niveler. Puisse-t-il durer toujours, ce pittoresque chaque fois renouvelé du langage, des habitudes, des mœurs ! Il pare d’un charme unique les cent villes d’Italie, le cento città d’Italia, sans nuire à l’harmonie profonde de l’ensemble. Au contraire, il rend cette harmonie plus riche et plus sûre : c’est