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les maisons étaient faites, et tous les témoins qui pouvaient enseigner le secret de la construction : aujourd’hui on garde tout. On coule du plâtre sur toutes les empreintes ; on retrouve ainsi jusqu’aux racines des plantes, dont il est possible de déterminer ensuite la nature. On traite ces vestiges du passé, en somme, comme on traitait déjà les textes anciens : avec une curiosité, avec une probité poussées jusqu’aux extrêmes limites. — Enfin, lorsqu’on possède des matériaux en nombre suffisant, on reconstruit. Pierres, poutres, chevrons, étais, supports, tous objets arrachés au temps, et protégés enfin contre l’ignorance des hommes, reprennent leur place : les édifices s’élèvent, et la ville renaît.

Tout au bout de la rue déjà reconstituée, les ouvriers sont en plein travail ; les bons ouvriers qui, de terrassiers vulgaires, sont devenus les restaurateurs de l’antiquité. Qu’elle est belle, cette vaste maison qu’ils sont en train de ressusciter, murs aux couleurs vives, salles commodes, vivier, treille, jardin ; et dans le lointain, pour clore la perspective et former le décor, les collines harmonieuses de Castellamare di Stabbia ! Elle est vaste, mais non point trop ; on comprend que ses habitants aient eu plaisir à y vivre, dans un luxe qui ne cessait jamais d’être simple. Elle n’est pas faite pour la défense, comme les architectures du Moyen-Age ; elle n’a pas la majesté sombre des grands palais de la Renaissance, qui semblaient construits pour des géants ; elle est humaine. Mais pour la faire revivre ainsi, que de peine ! On imagine la difficulté de l’entreprise : il s’agit d’enlever les matières hétérogènes qui l’ont recouverte tout entière, et qui se chiffrent par milliers de mètres cubes, sans laisser échapper aucun débris qui lui appartienne, qui soit capable de redire son histoire, et de reconstituer son être. Un tel travail ne peut s’accomplir qu’à force de science, d’art, et d’amour.

Lorsqu’on fit le projet, il y a quelques années déjà d’organiser une vaste collaboration de tous les Etats du monde, pour déblayer plus vite les villes mortes, et les rendre à notre curiosité, l’Italie le rejeta. Elle ne voulut pas seulement se réserver le monopole de son propre territoire ; elle estima qu’elle manquerait à sa tradition et à son rôle, si elle partageait avec d’autres l’héritage antique. Elle a eu raison. Nul doute qu’une fois passées les années de troubles, elle ne justifie davantage encore ce grand privilège ; elle l’a justifié dès maintenant, puisque nous voyons Pompéi revivre pour la deuxième fois.