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sauf peut-être la chaumière des Bucoliques, dont le toit fumait à l’horizon. On leur avait montré dès leur jeunesse cette antiquité solennelle ; et ils continuaient à la chérir, avec piété, avec dévotion.

Mais arrivés dans l’Italie du Sud, après avoir cherché dans la Ville éternelle les traces d’un passé qu’elle dissimulait encore jalousement, les gens du pays leur parlaient d’une grande merveille. Tout d’un coup, on leur révélait l’existence d’une ville entière, restée telle qu’elle était au temps où Rome était encore maîtresse de l’univers ; on les faisait entrer dans des maisons, de vraies maisons : ils pouvaient toucher les murs du doigt. Ils regardaient non seulement les statues trouvées au milieu des décombres, mais les instruments familiers de la vie de tous les jours, les amphores, les réchauds, les écuelles. L’antiquité, perdue dans l’éloignement des siècles, entourée de révérence et de mystère, se rapprochait brusquement d’eux : les demi-dieux devenaient des hommes ; on pouvait entrer dans leur cuisine et dans leur salle à manger. « Rien d’analogue dans le monde, écrit Walpole ; une cité romaine tout entière... » Oubliant son habituel scepticisme, renonçant à ses airs légers, il se livre à son enthousiasme ; et son ami Gray n’est pas moins ému.

La même impression se renouvelle chaque fois qu’on pénètre dans l’enceinte de ces villes exhumées. Je n’ai jamais erré dans les rues de Pompéi, sans que j’aie senti tous les souvenirs latins prendre corps, et m’assaillir. Je vois les ornières creusées par les roues des voitures dans les dalles de pierre, et j’imagine les lourds chariots des paysans, chargés de blé, d’huile, ou de vin, qui viennent jusqu’aux faubourgs de la cité porter les provisions du jour. Dans ce temple en ruines, j’essaie de faire ma prière aux dieux qui s’en sont allés. Je vais au bain public ; et après les exercices qui assurent à mon corps force et bien-être, je parle avec mes amis des affaires en cours. Il ne me plaît pas de me ranger parmi la plèbe, encore moins parmi les esclaves ; j’ai trop fréquenté Tite-Live, moi aussi, pour hanter d’autres gens que les patriciens, chevaliers ou sénateurs. Je vais de porte en porte et partout j’appelle les habitants ; je me promène sur les places, que je peuple à mon gré ; je soulève le lourd manteau de pierre ponce, de cendre, et de lave, et je ressuscite la ville tout entière, dans son luxe et dans sa splendeur.

Encore y faut-il un effort continu de l’imagination ; et ma