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POMPÉI OU L’ANTIQUITÉ RETROUVÉE

Les sources d’où jaillissent les souvenirs de l’antiquité demeurent éternellement vives : inépuisable est leur vertu. L’Italie, qui a eu en partage la garde des trésors de la civilisation latine, ne les révèle que par degrés ; elle nous réserve toujours de nouvelles surprises, de nouveaux émerveillements.

Je reviens de Pompéi. Je me suis promené longuement dans ce décor de ruines, dont la tristesse pénètre l’âme, même après les spectacles d’horreur dont la guerre nous fut prodigue. Ailleurs, les champs refleuriront ; on rebâtira les demeures détruites ; les flèches des églises monteront vers le ciel ; les bruits joyeux de la vie rempliront les cités. Que restera-t-il de nos champs de bataille, lorsque quelques siècles auront passé sur eux ? — Ici, c’est le règne du silence ; seuls les pas des visiteurs troublent la paix de la nécropole ; ces lieux sont consacrés à la mort. En franchissant le seuil des maisons désertes, on pense entrer dans des tombeaux. Un manteau de deuil, gris ou noirâtre, est uniformément jeté sur les architectures mutilées. Menaçant, le Vésuve monte la garde à l’horizon.

Il faut voir l’étonnement des voyageurs qui, parcourant l’Italie vers 1740, furent témoins des premières fouilles : on commençait alors à découvrir Herculanum. C’était le sensible Gray ; c’était le spirituel Walpole ; c’était notre président de Brosses, tout pétillant d’esprit, qui se hâta d’écrire un mémoire sur un sujet si nouveau, si alléchant pour sa curiosité. Certes, ils connaissaient l’antiquité, ces voyageurs d’élite ; au moins la connaissaient-ils d’une certaine façon : majestueuse, grandiose et presque surhumaine. Pour eux, Rome était moins une ville qu’un Panthéon, tout peuplé de héros et de poètes. Eblouis de tant de gloire, ils distinguaient mal les traits familiers des personnages illustres que Tite-Live ou Plutarque leur avaient dépeints. Ils voyaient Cicéron toujours drapé dans sa toge, César toujours debout sur son char de triomphe ; penser que ces demi-dieux avaient mangé, bu, dormi, était une manière de sacrilège, qu’ils ne commettaient point. La vie domestique et journalière de l’antiquité, ils l’ignoraient ; de la place publique ils ne se représentaient que les Rostres ; des maisons, ils ne retenaient que l’atrium peuplé de clients. Aussi bien étaient-elles toutes des palais, à l’image du palais des empereurs ; toutes,