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de l’Encyclopédie, et lit avec elle tous les plans et les arrangements convenables. Lorsqu’ils furent sortis, ma tante le remercia d’avoir été si aimable pour cette vieille femme.

— Au fait, dit-elle, son projet est fou.

— Comment, fou ? reprit M. de Chateaubriand, c’est une idée superbe ; il faudra que l’argent soit pour l’hospice de Marie-Thérèse, je me charge de parler à un libraire.


Juillet.

M. de La Rochefoucauld [1] mène la France. Depuis plusieurs années, il y a entre Mme du Cayla et lui l’amitié la plus vive et la plus exaltée ; tous les matins, il va se concerter avec M. de Villèle, s’entend avec lui sur les affaires à recommander au Roi et revient ensuite chez Mme du Cayla ; elle va chez le Roi avec un grand sac de taffetas vert, et déjà plusieurs fois, elle s’est arrangée de façon à ce que ses lettres lui fussent volées. Elle ne semblaient point faites pour être lues par le Roi et n’en ont produit que plus d’effet. M. de La Rochefoucauld, qui dans ce moment est si puissant, a trente-deux ans, une belle et noble figure, une tournure charmante, une élégance parfaite, les chevaux et les voitures les plus recherchés qui se puissent ; il aime à donner la mode, et quoique souvent on l’ait prise de lui, tout le monde se moque de sa toilette ; en effet, elle est assez souvent ridicule. Il a un caractère droit et noble, de la franchise et de la loyauté, beaucoup de chevaleresque dans les idées, mais il n’a rien lu ; il a les principes les plus inflexibles et, sans comprendre un mot à l’opinion contraire, il déclare qu’elle est folle, absurde et fausse.

Ma tante le connaît depuis de longues années ; c’est un ami fidèle et sûr, et toujours prêt à appuyer de sa considération les gens qu’il a adoptés. Il n’aime pas infiniment son beau-père M de Montmorency, et souvent il est jaloux de la préférence que ma tante lui accorde sur lui.

Sa politesse est excessive ; il a beaucoup de bienveillance pour les personnes, quoiqu’il soit fort exagéré en opinions ; il réunit la plus grande sévérité à la plus extrême élégance de mœurs.

Un joli mot de lui, c’est lorsqu’il répondit à ma tante, qui lui

  1. Sosthène de La Rochefoucauld, fils du duc de La Rochefoucauld-Doudeauville qui devint ministre de la Maison du Roi en 1824, et gendre de Mathieu de Montmorency.