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comme on doit les trouver dans les Mémoires. Elle est très vieille, très grande, toujours parée comme si sa beauté était à présent autre chose qu’un souvenir ; cela la vieillit beaucoup.

Mais le haut de son visage est encore charmant. Je suppose qu’elle a dû avoir des bras superbes, car elle a toujours des manches de la gaze la plus claire et trois ou quatre beaux bracelets infiniment trop larges : rien n’est triste comme ces pauvres bras.

Elle a des manières très nobles et très polies ; elle reçoit à merveille ; sa prudence et sa modération sont extrêmes. Elle parle bas. écoute avec intérêt, et s’occupe beaucoup des arts. Mais c’est si bien en protectrice, il est si aisé de voir que son goût pour les arts vient surtout de ce qu’elle trouve qu’une personne de l’âge et du rang de la duchesse de Devonshire doit être un centre protecteur pour les artistes ! Elle a adopté Rome pour sa patrie, et l’on dit qu’elle en fait les honneurs aux étrangers avec une grande bonté.

Son esprit de conciliation et sa douceur doivent être des qualités parfaites pour une maîtresse de maison, mais hors de chez elle, sa conversation est bien éteinte. Sa manière avec ma tante est pleine de grâces. Elle a une tendre affection pour elle et elle la traite comme une fille charmante pour laquelle elle aurait beaucoup de goût : elle la baise au front plusieurs fois dans la soirée avec une tendresse toute maternelle. C’est vraiment une chose parfaite que de penser qu’une personne de son âge et de son rang, aussi gâtée dans la société française, désirée partout, comblée de fêtes, n’en vienne pas moins deux ou trois fois par semaine dans un quartier éloigné de Paris, monte trois étages et ne s’en aille jamais qu’à regret.

Son frère, Lord Bristol, est aussi un homme bien excellent. Il a été vingt ans membre de l’opposition ; mais sa sœur la plus chérie était femme de Lord Liverpool [1], ce qui lui a donné beaucoup de modération. Sa figure est encore charmante ; il a l’air assez jeune, quoique tous ses cheveux soient blancs. Il va beaucoup dans le monde, et l’une des choses que j’aime le plus en lui, c’est la manière si juste dont il apprécie chaque chose. Il ne néglige pas un devoir et n’oublie pas une visite. Ses manières sont peut-être un peu trop affectueuse, il fait un usage un peu

  1. Premier ministre de 1818 à 1827, date à laquelle il fut remplacé par Canning.