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entre autres, l’Empereur y passa avec l’Impératrice, et on fit ce qu’on put pour persuader à Mme Récamier de saisir cette occasion d’obtenir son retour à Paris ; elle ne voulut rien entendre.

Après neuf ou dix mois passés tristement à Châlons, ma tante éprouva le besoin de changer le lieu de son exil et nous partîmes pour Lyon [1] où habitait une partie de notre famille.

La duchesse de Chevreuse [2], exilée comme nous, habitait l’hôtel de l’Europe où nous vînmes nous établir ; ma tante l’avait connue à Paris ; elle avait avec elle sa belle-mère, la duchesse de Luynes, qui l’aimait à la folie. Mme de Chevreuse était fort jeune, c’était une des personnes qui avaient eu le plus de mode dans la société ; elle était pleine d’élégance et de grâces ; sa taille était charmante, mais elle était rousse, et portait une perruque alternativement brune ou blonde.

Je me rappellerai toujours le premier jour où je la vis. Ma tante, me mena chez elle le soir ; elle était habillée de blanc, coiffée en cheveux, couchée sur un lit et tenant une rose à la main ; elle me parut ravissante.

Elle était le caprice en personne : gâtée à l’excès, spirituelle, volontaire, elle ne se consolait pas de n’être pas née pendant le siècle de Louis XIV.

Elle menait à Lyon une vie toute singulière ; elle ne se levait qu’à sept heures du soir pour aller au spectacle et passait le reste du temps couchée à se mourir d’ennui.

L’Empereur avait eu beaucoup de goût pour elle ; il l’avait nommée dame de l’Impératrice, et, obligée à accepter par un conseil de famille, elle faisait à l’Empereur et à toute sa Cour impertinences sur impertinences ; il se lassa enfin de ses dédains ; on dit que la patience lui échappa lorsque, la reine d’Espagne étant venue à Paris, Bonaparte lui forma une cour et qu’il désira que Mme de Chevreuse fût sa dame d’honneur. Elle lui répondit qu’elle pouvait bien être esclave, mais qu’elle ne serait pas geôlière ; il lui envoya un ordre d’exil, et certes il s’est bien vengé des dédains qu’elle lui avait montrés. Rien n’égale sa dureté envers elle ; elle demanda mille fois son rappel et fut

  1. En juin 1812.
  2. Hermessinde de Narbonne-Pelet, duchesse de Chevreuse, nommée par l’Empereur en 1806 dame du palais de l’Impératrice Joséphine, exilée en 1808, mourut le 6 juillet 1813, à l’âge de vingt-huit ans. La duchesse de Luynes, sa belle-mère, était aussi la belle-mère de Mathieu de Montmorency.