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Je venais d’avoir sept ans, j’étais en grand deuil, très petite, affublée d’un chapeau à fleurs noires ; je ne puis m’empêcher de penser que je ne ressemblais pas mal à un chien habillé ; quoi qu’il en soit, fort blonde, les cheveux courts, les dents encore mal arrangées, on me trouva assez gentille.

Je ne me souviens pas d’avoir éprouvé le moindre étonnement à tout ce que je voyais de nouveau ; je me pris bien vite d’affection pour la femme de chambre de ma tante, Mlle Joséphine, ridicule, mais bonne personne, laide et fort honnête, toujours en peine de l’effet qu’elle produisait et de l’amour qu’elle croyait qu’on avait pour elle. Pour ma tante, je la craignais beaucoup. On me demanda si je savais lire ; à mon âge c’était assez simple ; j’avais appris longtemps d’une vieille religieuse nommée Mme Lachapelle, mais elle ne m’avait jamais fait lire qu’une épître dédicatoire ; je la savais par cœur apparemment et, bien convaincue que je lisais à merveille, je l’affirmai ; un jour donc, ma tante était souffrante, elle me donna un livre et me dit de lui faire la lecture, je commençai intrépidement : Monseigneur, Votre Altesse Royale daignera... » Comment ? me dit ma tante, que dis-tu donc ? — Je lis » — et je répétais mon épître dédicatoire.

Le général Junot est la première personne que j’aie vue à Paris ; ma tante était couchée sur un canapé ; il était assis auprès d’elle, lorsque mon oncle m’amena en disant : — « Voilà la petite. »

Quelques mois après, ma tante partit pour Coppet [1] ; elle ne devait pas d’abord m’emmener avec elle ; au moment de monter en voiture, elle s’y décida.

J’ai bien souvent depuis béni Dieu de ce hasard qui m’a fait rester auprès d’elle ; sans cela, on m’aurait mise dans quelque pension de Paris, mon oncle seul se serait occupé de mon éducation, et combien moi et mon sort eussent été différents !

A une poste ou deux de Coppet, M. Auguste de Staël vint au-devant de nous, apporter à ma tante la nouvelle de l’exil de M. de Montmorency [2] ; j’étais appuyée contre la portière lorsqu’il l’ouvrit et je pensai tomber sous la roue. Nous nous arrêtâmes

  1. Mme Récamier partit pour Coppet le 24 août 1811, avec un passeport à destination d’Aix-en-Savoie.
  2. L’ordre d’exil de Mathieu de Montmorency, daté du 21 août 1811, lui fut signifié à Coppet par le préfet du Léman ; le motif de cet exil était une souscription faite en faveur des « cardinaux noirs. »