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San Martin est calme, silencieux et stoïque. Deux tempéraments essentiellement différents se rencontrent. En outre, Bolivar est républicain en principe et occasionnellement césarien à son profit ; il tend vers une unité de toute l’Amérique latine, et en attendant impose la même constitution à toutes les républiques qu’il fonde, préparant ainsi leur réunion : c’est la conception colombienne. San Martin est monarchiste et voudrait rendre possible l’établissement d’une dynastie étrangère, avec une constitution se rapprochant des institutions britanniques, et il n’a aucune ambition personnelle. Il pense que chacun des nouveaux Etats doit vivre sa vie en toute indépendance, les interventions entre elles restant tout à fait exceptionnelles : c’est la conception argentine. En politique intérieure comme en organisation, toutes leurs idées se combattent.

L’unité d’action politique et de commandement militaire s’imposait, et, puisque les deux chefs ne pouvaient opérer simultanément, il fallait que l’un d’eux se retirât. Entre le général, pour qui la politique n’était qu’un des moyens d’obtenir le résultat voulu par son Gouvernement, et le politique pour qui la guerre n’était qu’un moyen d’organiser le Nouveau-Monde selon ses vues personnelles, la contestation ne pouvait être longtemps douteuse. D’ailleurs, le but de San Martin était atteint, car la domination espagnole était frappée à mort, et l’abnégation de son caractère pouvait lui permettre de s’effacer devant Bolivar, tandis que la réciproque était impossible... Stoïque, San Martin rentra donc à Buenos-Ayres, accueilli en triomphateur, couvert de lauriers et porté aux plus hautes charges de l’Etat ; il hésita devant les moyens nécessaires pour s’y maintenir. Il démissionna et partit pour le Chili, puis pour l’Europe.

C’est seulement en 1824 que Bolivar et son lieutenant Sucre, par les victoires de Junin et d’Ayacucho, achevèrent l’œuvre de San Martin.


Nous voici réunis devant le haut monument, entièrement voilé, les membres du Gouvernement, les corps constitués de l’État, les ambassadeurs des vingt-neuf Etats réunis à leurs légations et accompagnés de nombreux officiers. Les discours commencent : le Président de la République, le nonce apostolique, l’ambassadeur argentin, puis le général Martinez qui